Blaise
Pascal Pensées
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VIII.
DIVERTISSEMENT
132.
Divertissement Si lhomme était heureux
il le serait dautant plus quil serait moins
diverti, comme les saints et Dieu. Oui ; mais nest-ce
pas être heureux que de pouvoir être réjoui
par le divertissement ? Non ; car il vient
dailleurs et de dehors ; et ainsi il est dépendant,
et partout, sujet à être troublé par
mille accidents, qui font les afflictions inévitables.
133.
divertissement. Les hommes nayant pu guérir
la mort, la misère, lignorance, ils se sont
avisés, pour se rendre heureux, de ny point
penser.
134.
nonobstant ces misères il veut être heureux
et ne veut être quheureux, et ne peut ne vouloir
pas lêtre. Mais comment sy prendra (-t-)
il. Il faudrait pour bien faire quil se rendît
immortel, mais ne le pouvant il sest avisé
de sempêcher dy penser.
135.
je sens que je puis navoir point été,
car le moi consiste dans ma pensée ; donc moi
qui pense naurais point été, si ma mère
eût été tuée avant que jeusse
été animé, donc je ne suis pas un être
nécessaire. Je ne suis pas aussi éternel ni
infini, mais je vois bien quil y a dans la nature
un être nécessaire, éternel et infini.
136.
divertissement. Quand je my suis mis quelquefois
à considérer les diverses agitations des hommes,
et les périls, et les peines où ils sexposent
dans la cour, dans la guerre doù naissent tant
de querelles, de passions, dentreprises hardies et
souvent mauvaises, etc., jai dit souvent que tout
le malheur des hommes vient dune seule chose, qui
est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre.
Un homme qui a assez de bien pour vivre, sil savait
demeurer chez soi avec plaisir nen sortirait pas pour
aller sur la mer ou au siège dune place ;
on nachèterait une charge à larmée
si cher que parce quon trouverait insupportable de
ne bouger de la ville et on ne recherche les conversations
et les divertissements des jeux que parce quon ne
demeure chez soi avec plaisir. Mais quand jai pensé
de plus près et quaprès avoir trouvé
la cause de tous nos malheurs jai voulu en découvrir
les raison(s), jai trouvé quil y en a
une bien effective qui consiste dans le malheur naturel
de notre condition faible et mortelle et si misérable
que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de
près. Quelque condition quon se figure où
lon assemble tous les biens qui peuvent nous appartenir.
La royauté est le plus beau poste du monde et cependant
quon sen imagine, accompagné de toutes
les satisfactions qui peuvent le toucher. Sil est
sans divertissement et quon le laisse considérer
et faire réflexion sur ce quil est-cette félicité
languissante ne le soutiendra point-il tombera par nécessité
dans les vues qui le menacent, des révoltes qui peuvent
arriver et enfin de la mort et des maladies qui sont inévitables,
de sorte que sil est, sans ce quon appelle divertissement
le voilà malheureux, et plus malheureux que le moindre
de ses sujets qui joue et qui se divertit. De là
vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre,
les grands emplois sont si recherchés. Ce nest
pas quil y ait en effet du bonheur, ni quon
simagine que la vraie béatitude, soit davoir
largent quon peut gagner au jeu, ou dans le
lièvre quon court, on nen voudrait pas
sil était offert. Ce nest pas cet usage
mol et paisible et qui nous laisse penser à notre
malheureuse condition quon recherche ni les dangers
de la guerre, ni la peine des emplois, mais cest le
tracas qui nous détourne dy penser et nous
divertit. Raison pourquoi on aime mieux la chasse que la
prise. De là vient que les hommes aiment tant le
bruit et le remuement. De là vient que la prison
est un supplice si horrible, de là vient que le plaisir
de la solitude est une chose incompréhensible. Et
cest enfin le plus grand sujet de félicité
de la condition des rois, de ce quon essaie sans cesse
à les divertir et à leur procurer toutes sortes
de plaisirs. Le roi est environné de gens qui ne
pensent quà divertir le roi et à lempêcher
de penser à lui. Car il est malheureux tout roi quil
est sil y pense. Voilà tout ce que les hommes
ont pu inventer pour se rendre heureux et ceux qui font
sur cela les philosophes et qui croient que le monde est
bien peu raisonnable de passer tout le jour à courir
après un lièvre quils ne voudraient
pas avoir acheté, ne connaissent guère notre
nature. Ce lièvre ne nous garantirait pas de la vue
de la mort et des misères qui nous en détourne,
mais la chasse nous en garantit. Et ainsi le conseil quon
donnait à Pyrrhus de prendre le repos quil
allait chercher par tant de fatigues, recevait bien des
difficultés. Et ainsi quand on leur reproche que
ce quils recherchent avec tant dardeur ne saurait
les satisfaire, sils répondaient comme ils
devraient le faire, sils y pensaient bien, quils
ne recherchent en cela quune occupation violente et
impétueuse qui les détourne de penser à
soi et que cest pour cela quils se proposent
un objet attirant qui les charme et les attire avec ardeur
ils laisseraient leurs adversaires sans répartie...
la vanité le plaisir de la montrer aux autres.
la danse, il faut bien penser où lon
mettra ses pieds mais ils ne répondent pas
cela parce quils ne se connaissent pas eux-mêmes.
Ils ne savent pas que ce nest que la chasse et non
la prise quils recherchent le gentilhomme croit
sincèrement que la chasse est un plaisir grand et
un plaisir royal, mais son piqueur nest pas de ce
sentiment-là. Ils simaginent que sils
avaient obtenu cette charge, ils se reposeraient ensuite
avec plaisir et ne sentent pas la nature insatiable de la
cupidité. Ils croient chercher sincèrement
le repos et ne cherchent en effet que lagitation.
Ils ont un instinct secret qui les porte à chercher
le divertissement et loccupation au dehors, qui vient
du ressentiment de leurs misères continuelles. Et
ils ont un autre instinct secret qui reste de la grandeur
de notre première nature, qui leur fait connaître
que le bonheur nest en effet que dans le repos et
non pas dans le tumulte. Et de ces deux instincts contraires
il se forme en eux un projet confus qui se cache à
leur vue dans le fond de leur âme qui les porte à
tendre au repos par lagitation et à se figurer
toujours que la satisfaction quils nont point
leur arrivera si en surmontant quelques difficultés
quils envisagent ils peuvent souvrir par là
la porte au repos. Ainsi sécoule toute la vie ;
on cherche le repos en combattant quelques obstacles et
si on les a surmontés le repos devient insupportable
par lennui quil engendre. Il en faut sortir
et mendier le tumulte. Car ou lon pense aux misères
quon a ou à celles qui nous menacent. Et quand
on se verrait même assez à labri de toutes
parts lennui de son autorité privée
ne laisserait pas de sortir du fond du coeur où il
a des racines naturelles, et de remplir lesprit de
son venin. B. Ainsi lhomme est si malheureux quil
sennuierait même sans aucune cause dennui
par létat propre de sa complexion. Et il est
si vain quétant plein de mille causes essentielles
dennui la moindre chose comme un billard et une balle
quil pousse, suffisent pour le divertir. Mais direz-vous
quel objet a (-t-) il en tout cela ? Celui de se vanter
demain entre ses amis de ce quil a mieux joué
quun autre. Ainsi les autres suent dans leur cabinet
pour montrer aux savants quils ont résolu une
question dalgèbre quon naurait
pu trouver jusquici, et tant dautres sexposent
aux derniers périls pour se vanter ensuite dune
place quils auront prise aussi sottement à
mon gré. Et enfin les autres se tuent pour remarquer
toutes ces choses, non pas pour en devenir plus sages, mais
seulement pour montrer quils les savent, et ceux-là
sont les plus sots de la bande puisquils le sont avec
connaissance, au lieu quon peut penser des autres
quils ne le seraient plus sils avaient cette
connaissance. Tel homme passe sa vie sans ennui en jouant
tous les jours peu de chose. Donnez-lui tous les matins
largent quil peut gagner chaque jour, à
la charge quil ne joue point, vous le rendez malheureux.
On dira peut-être que cest quil recherche
lamusement du jeu et non pas le gain. Faites-le donc
jouer pour rien, il ne sy échauffera pas et
sy ennuiera. Ce nest donc pas lamusement
seul quil recherche. Un amusement languissant et sans
passion lennuiera. Il faut quil sy échauffe,
et quil se pipe lui-même en simaginant
quil serait heureux de gagner ce quil ne voudrait
pas quon lui donnât à condition de ne
point jouer, afin quil se forme un sujet de passion
et quil excite sur cela son désir sa colère,
sa crainte pour cet objet quil sest formé
comme les enfants qui seffrayent du visage quils
ont barbouillé. Doù vient que cet homme
qui a perdu depuis peu de mois son fils unique et qui accablé
de procès et de querelles était ce matin si
troublé, ny pense plus maintenant. Ne vous
en étonnez pas, il est tout occupé à
voir par où passera ce sanglier que ses chiens poursuivent
avec tant dardeur depuis six heures. Il nen
faut pas davantage. Lhomme quelque plein de tristesse
quil soit, si on peut gagner sur lui de le faire entrer
en quelque divertissement le voilà heureux pendant
ce temps-là, et lhomme quelquheureux
quil soit sil nest diverti et occupé
par quelque passion ou quelque amusement, qui empêche
lennui de se répandre, sera bientôt chagrin
et malheureux. Sans divertissement il ny a point de
joie ; avec le divertissement il ny a point de
tristesse. Et cest aussi ce qui forme le bonheur des
personnes. D de grande condition quils ont un nombre
de personnes qui les divertissent et quils ont le
pouvoir de se maintenir en cet état. Prenez-y garde,
quest-ce autre chose dêtre surintendant,
chancelier, premier président sinon dêtre
en une condition où lon a le matin un grand
nombre de gens qui viennent de tous côtés pour
ne leur laisser pas une heure en la journée où
ils puissent penser à eux-mêmes, et quand ils
sont dans la disgrâce, et quon les renvoie à
leurs maisons des champs où ils ne manquent ni de
biens ni de domestiques pour les assister dans leur besoin
ils ne laissent pas dêtre misérables
et abandonnés parce que personne ne les empêche
de songer à eux.
137.
divertissement. La dignité royale nest-elle
pas assez grande delle-même pour celui qui la
possède pour le rendre heureux par la seule vue de
ce quil est ; faudra (-t-) il le divertir de
cette pensée comme les gens du commun ? Je vois
bien que cest rendre un homme heureux de le divertir
de la vue de ses misères domestiques pour remplir
toute sa pensée du soin de bien danser, mais en sera
(-t-) il de même dun roi et sera (-t-) il plus
heureux en sattachant à ces vains amusements
quà la vue de sa grandeur. Et quel objet plus
satisfaisant pourrait-on donner à son esprit ?
Ne serait-ce donc pas faire tort à sa joie doccuper
son âme à penser à ajuster ses pas à
la cadence dun air ou à placer adroitement
une barre, au lieu de le laisser jouir en repos, de la contemplation
de la gloire majestueuse qui lenvironne. Quon
en fasse les preuves, quon laisse un roi tout seul
sans aucune satisfaction des sens, sans aucun soin dans
lesprit, sans compagnies et sans divertissements,
penser à lui tout à loisir, et lon verra
quun roi sans divertissement est un homme plein de
misères. Aussi on évite cela soigneusement
et il ne manque jamais dy avoir auprès des
personnes des rois un grand nombre de gens qui veillent
à faire succéder le divertissement à
leurs affaires et qui observent tout le temps de leur loisir
pour leur fournir des plaisirs et des jeux en sorte quil
ny ait point de vide. Cest-à-dire quils
sont environnés de personnes qui ont un soin merveilleux
de prendre garde que le roi ne soit seul et en état
de penser à soi, sachant bien quil sera misérable,
tout roi quil est, sil y pense. Je ne parle
point en tout cela des rois chrétiens comme chrétiens,
mais seulement comme rois.
138.
divertissement. La mort est plus aisée à
supporter sans y penser que la pensée de mort sans
péril.
139.
divertissement. On charge les hommes dès lenfance
du soin de leur honneur, de leur bien, de leurs amis, et
encore du bien et de lhonneur de leurs amis, on les
accable daffaires de lapprentissage des langues
et dexercices, et on leur fait entendre quils
ne sauraient être heureux, sans que leur santé,
leur honneur, leur fortune, et celles de leurs amis soient
en bon état, et quune seule chose qui manque
les rendra malheureux. Ainsi on leur donne des charges et
des affaires qui les font tracasser dès la pointe
du jour. Voilà direz-vous une étrange manière
de les rendre heureux ; que pourrait-on faire de mieux
pour les rendre malheureux ? Comment, ce quon
pourrait faire : il ne faudrait que leur ôter
tous ces soucis, car alors ils se verraient, ils penseraient
à ce quils sont, doù ils viennent,
où ils vont, et ainsi on ne peut trop les occuper
et les détourner. Et cest pourquoi, après
leur avoir tant préparé daffaires, sils
ont quelque temps de relâche, on leur conseille de
lemployer à se divertir, et jouer, et soccuper
toujours tout entiers. Que le coeur de lhomme est
creux et plein dordure.
IX.
PHILOSOPHES
140.
Quand Epictète aurait vu parfaitement bien le
chemin, il dit aux hommes : vous en suivez un faux.
Il montre que cen est un autre, mais il ny mène
pas. Cest celui de vouloir ce que Dieu veut. J.-C.
seul y mène. Les vices de Zénon même.
141.
philosophes. La belle chose de crier à un homme
qui ne se connaît pas, quil aille de lui-même
à Dieu. Et la belle chose de le dire à un
homme qui se connaît.
142.
Philosophes. Ils croient que Dieu est seul digne dêtre
aimé et dêtre admiré, et ont désiré
dêtre aimés et admirés des hommes,
et ils ne connaissent pas leur corruption. Sils se
sentent pleins de sentiments pour laimer et ladorer,
et quils y trouvent leur joie principale, quils
sestiment bons, à la bonne heure ! Mais
sils sy trouvent répugnants s(ils)
n(ont) aucune pente quà se vouloir établir
dans lestime des hommes, et que, pour toute perfection,
ils fassent seulement que, sans forcer les hommes, ils leur
fassent trouver leur bonheur à les aimer, je dirai
que cette perfection est horrible. Quoi, ils ont connu Dieu
et nont pas désiré uniquement que les
hommes laimassent, que les hommes sarrêtassent
à eux. Ils ont voulu être lobjet du bonheur
volontaire des hommes.
143.
philosophes. Nous sommes pleins de choses qui nous jettent
au dehors. Notre instinct nous fait sentir quil faut
chercher notre bonheur hors de nous. Nos passions nous poussent
au dehors, quand même les objets ne soffriraient
pas pour les exciter. Les objets du dehors nous tentent
deux-mêmes et nous appellent quand même
nous ny pensons pas. Et ainsi les philosophes ont
beau dire : rentrez-vous en vous-mêmes, vous
y trouverez votre bien ; on ne les croit pas et ceux
qui les croient sont les plus vides et les plus sots.
144.
ce que les stoïques proposent est si difficile
et si vain. Les stoïques posent : tous ceux qui
ne sont point au haut degré de sagesse sont également
fous, et vicieux, comme ceux qui sont à deux doigts
dans leau.
145.
les 3 concupiscences ont fait trois sectes et les philosophes
nont fait autre chose que suivre une des trois concupiscences.
146.
stoïques. Ils concluent quon peut toujours
ce quon peut quelquefois et que puisque le désir
de la gloire fait bien faire à ceux quil possède
quelque chose, les autres le pourront bien aussi. Ce sont
des mouvements fiévreux que la santé ne peut
imiter. Epictète conclut de ce quil y a des
chrétiens constants que chacun le peut bien être.
X.
LE SOUVERAIN BIEN
147.
Le souverain bien. Dispute du souverain bien. (...).
Il y a contradiction, car ils conseillent enfin de se tuer.
Oh ! Quelle vie heureuse dont on se délivre
comme de la peste !
148.
seconde partie. Que lhomme sans la foi ne peut
connaître le vrai bien, ni la justice. Tous les hommes
recherchent dêtre heureux. Cela est sans exception,
quelques différents moyens quils y emploient.
Ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns
vont à la guerre et que les autres ny vont
pas est ce même désir qui est dans tous les
deux accompagné de différentes vues. La volonté
fait jamais la moindre démarche que vers cet objet.
Cest le motif de toutes les actions de tous les hommes,
jusquà ceux qui vont se pendre. Et cependant
depuis un si grand nombre dannées jamais personne,
sans la foi, nest arrivé à ce point
où tous visent continuellement. Tous se plaignent,
princes, sujets, nobles, roturiers, vieux, jeunes, forts,
faibles, savants, ignorants, sains, malades de tous pays,
de tous les temps, de tous âges, et de toutes conditions.
Une épreuve si longue si continuelle et si uniforme
devrait bien nous convaincre de notre impuissance darriver
au bien par nos efforts. Mais lexemple nous instruit
peu. Il nest jamais si parfaitement semblable quil
ny ait quelque délicate différence et
cest de là que nous attendons que notre attente
ne sera pas déçue en cette occasion comme
en lautre, et ainsi le présent ne nous satisfaisant
jamais, lexpérience nous pipe, et de malheur
en malheur nous mène jusquà la mort
qui en est un comble éternel. Quest-ce donc
que nous crie cette avidité et cette impuissance
sinon quil y a eu autrefois dans lhomme un véritable
bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et
la trace toute vide et quil essaye inutilement de
remplir de tout ce qui lenvironne, recherchant des
choses absentes le secours quil nobtient pas
des présentes, mais qui en sont toutes incapables
parce que ce gouffre infini ne peut être rempli que
par un objet infini et immuable, cest-à-dire
que par Dieu même. Lui seul est son véritable
bien. Et depuis quil la quitté cest
une chose étrange quil ny a rien dans
la nature qui nait été capable de lui
en tenir la place, astres, ciel, terre, éléments,
plantes, choux, poireaux, animaux, insectes, veaux, serpents,
fièvre, peste, guerre, famine, vices, adultère,
inceste. Et depuis quil a perdu le vrai bien tout
également peut lui paraître tel jusquà
sa destruction propre, quoique si contraire à Dieu,
à la raison et à la nature tout ensemble.
Les uns le cherchent dans lautorité, les autres
dans les curiosités et dans les sciences, les autres
dans les voluptés. Dautres qui en ont en effet
plus approché ont considéré que il
est nécessaire que ce bien universel que tous les
hommes désirent ne soit dans aucune des choses particulières
qui ne peuvent être possédées que par
un seul et qui étant partagées affligent plus
leurs possesseurs par le manque de la partie quils
nont pas, quelles ne les contentent par la jouissance
de celle qui lui appartient. Ils ont compris que le vrai
bien devait être tel que tous pussent le posséder
à la fois sans diminution et sans envie, et que personne
ne le pût perdre contre son gré, et leur raison
est que ce désir étant naturel à lhomme
puisquil est nécessairement dans tous et quil
ne peut pas ne le pas avoir, ils en concluent...
XI.
A.P.R.
149.
A. P. R. Commencement, après avoir expliqué
lincompréhensibilité. Les grandeurs
et les misères de lhomme sont tellement visibles
quil faut nécessairement que la véritable
religion nous enseigne et quil y a quelque grand principe
de grandeur en lhomme et quil y a un grand principe
de misère. Il faut encore quelle nous rende
raison de ces étonnantes contrariétés.
Il faut que pour rendre lhomme heureux elle lui montre
quil y a un Dieu, quon est obligé de
laimer, que notre vraie félicité est
dêtre en lui, et notre unique mal dêtre
séparé de lui, quelle reconnaisse que
nous sommes pleins de ténèbres qui nous empêchent
de le connaître et de laimer, et quainsi
nos devoirs nous obligeant daimer Dieu et nos concupiscences
nous en détournant nous sommes pleins dinjustice.
Il faut quelle nous rende raison de ces oppositions
que nous avons à Dieu et à notre propre bien.
Il faut quelle nous enseigne les remèdes à
ces impuissances et les moyens dobtenir ces remèdes.
Quon examine sur cela toutes les religions du monde
et quon voie sil y en a une autre que la chrétienne
qui y satisfasse. Sera-ce les philosophes qui nous proposent
pour tout bien les biens qui sont en nous ? Ont-ils
trouvé le remède à nos maux ?
Est-ce avoir guéri la présomption de lhomme
que de lavoir mis à légal de Dieu ?
Ceux qui nous ont égalé aux bêtes et
les mahométans qui nous ont donné les plaisirs
de la terre pour tout bien, même dans léternité,
ont-ils apporté le remède à nos concupiscences ?
Quelle religion nous enseignera donc à guérir
lorgueil, et la concupiscence ? Quelle religion
enfin nous enseignera notre bien, nos devoirs, les faiblesses
qui nous en détournent, la cause de ces faiblesses,
les remèdes qui les peuvent guérir, et le
moyen dobtenir ces remèdes. Toutes les autres
religions ne lont pu. Voyons ce que fera la sagesse
de Dieu. Nattendez point, dit-elle, ô hommes,
ni vérité, ni consolation des hommes. Je suis
celle qui vous ai formés et qui puis seule vous apprendre
qui vous êtes. Mais, vous nêtes plus maintenant
en létat où je vous ai formés.
Jai créé lhomme saint, innocent,
parfait ; je lai rempli de lumière et
dintelligence, je lui ai communiqué ma gloire
et mes merveilles. Loeil de lhomme voyait alors
la majesté de Dieu. Il nétait pas alors
dans les ténèbres qui laveuglent, ni
dans la mortalité et dans les misères qui
laffligent. Mais il na pu soutenir tant de gloire
sans tomber dans la présomption. Il a voulu se rendre
centre de lui-même et indépendant de mon secours.
Il sest soustrait de ma domination et ségalant
à moi par le désir de trouver sa félicité
en lui-même je lai abandonné à
lui, et révoltant les créatures qui lui étaient
soumises, je les lui ai rendues ennemies, en sorte quaujourdhui
lhomme est devenu semblable aux bêtes, et dans
un tel éloignement de moi quà peine
lui reste (-t-) il une lumière confuse de son auteur
tant toutes ses connaissances ont été éteintes
ou troublées. Les sens indépendants de la
raison et souvent maîtres de la raison lont
emporté à la recherche des plaisirs. Toutes
les créatures ou laffligent ou le tentent,
et dominent sur lui ou en le soumettant par leur force ou
en le charmant par leur douceur, ce qui est une domination
plus terrible et plus injurieuse. Voilà létat
où les hommes sont aujourdhui. Il leur reste
quelque instinct impuissant du bonheur de leur première
nature, et ils sont plongés dans les misères
de leur aveuglement et de leur concupiscence qui est devenue
leur seconde nature. De ce principe que je vous ouvre vous
pouvez reconnaître la cause de tant de contrariétés
qui ont étonné tous les hommes et qui les
ont partagés en de si divers sentiments. Observez
maintenant tous les mouvements de grandeur et de gloire
que lépreuve de tant de misères ne peut
étouffer et voyez sil ne faut pas que la cause
en soit en une autre nature. A. P. R. Pour demain. Prosopopée.
Cest en vain, ô hommes, que vous cherchez dans
vous-même les remèdes à vos misères.
Toutes vos lumières ne peuvent arriver quà
connaître que ce nest point dans vous-même
que vous trouverez ni la vérité ni le bien.
Les philosophes vous lont promis et ils nont
pu le faire. Ils ne savent ni quel est votre véritable
bien, ni quel est (...). Comment auraient-ils donné
des remèdes à vos maux quils nont
pas seulement connus. Vos maladies principales sont lorgueil
qui vous soustrait de Dieu, la concupiscence qui vous attache
à la terre. (...), et ils nont fait autre chose
quentretenir au moins lune de ces maladies.
Sils vous ont donné Dieu pour objet ce na
été que pour exercer votre superbe ;
ils vous ont fait penser que vous lui étiez semblables
et conformes par votre nature. Et ceux qui ont vu la vanité
de cette prétention vous ont jeté dans lautre
précipice en vous faisant entendre que votre nature
était pareille à celle des bêtes et
vous ont porté à chercher votre bien dans
les concupiscences qui sont le partage des animaux. Ce nest
pas là le moyen de vous guérir de vos injustices
que ces sages nont point connues. Je puis seule vous
faire entendre qui vous êtes, ce... Adam, J.-C. Si
on vous unit à Dieu cest par grâce, non
par nature. Si on vous abaisse cest par pénitence,
non par nature. Ainsi cette double capacité. Vous
nêtes pas dans létat de votre création.
Ces deux états étant ouverts il est impossible
que vous ne les reconnaissiez pas. Suivez vos mouvements.
Observez-vous vous-même et voyez si vous ny
trouverez pas les caractères vivants de ces deux
natures. Tant de contradictions se trouveraient-elles dans
un sujet simple ? Incompréhensible. Tout ce
qui est incompréhensible ne laisse pas dêtre.
Le nombre infini, un espace infini égal au fini.
Incroyable que Dieu sunisse à nous. Cette considération
nest tirée que de la vue de notre bassesse,
mais si vous lavez bien sincère, suivez-la
aussi loin que moi et reconnaissez que nous sommes en effet
si bas que nous sommes par nous-mêmes incapables de
connaître si sa miséricorde ne peut pas nous
rendre capables de lui. Car je voudrais savoir doù
cet animal qui se reconnaît si faible a le droit de
mesurer la miséricorde de Dieu et dy mettre
les bornes que sa fantaisie lui suggère. Il sait
si peu ce que cest que Dieu quil ne sait pas
ce quil est lui-même. Et tout troublé
de la vue de son propre état il ose dire que Dieu
ne le peut pas rendre capable de sa communication. Mais
je voudrais lui demander si Dieu demande autre chose de
lui sinon quil laime et le connaisse, et pourquoi
il croit que Dieu ne peut se rendre connaissable et aimable
à lui puisquil est naturellement capable damour
et de connaissance, il est sans doute quil connaît
au moins quil est et quil aime quelques choses.
Donc sil voit quelque chose dans les ténèbres
où il est et sil trouve quelque sujet damour
parmi les choses de la terre, pourquoi si Dieu lui découvre
quelque rayon de son essence, ne sera (-t-) il pas capable
de le connaître et de laimer en la manière
quil lui plaira se communiquer à nous. Il y
a donc sans doute une présomption insupportable dans
ces sortes de raisonnements, quoiquils paraissent
fondés sur une humilité apparente, qui nest
ni sincère, ni raisonnable si elle ne nous fait confesser
que ne sachant de nous-mêmes qui nous sommes nous
ne pouvons lapprendre que de Dieu. Je nentends
pas que vous soumettiez votre créance à moi
sans raison, et ne prétends pas vous assujettir avec
tyrannie. Je ne prétends pas aussi vous rendre raison
de toutes choses. Et pour accorder ces contrariétés
jentends vous faire voir clairement par des preuves
convaincantes des marques divines en moi qui vous convainquent
de ce que je suis et mattirer autorité par
des merveilles et des preuves que vous ne puissiez refuser
et quensuite vous croyiez les choses que je vous enseigne
quand vous ny trouverez autre sujet de les refuser,
sinon que vous ne pouvez par vous-même connaître
si elles sont ou non. Dieu a voulu racheter les hommes et
ouvrir le salut à ceux qui le chercheraient, mais
les hommes sen rendent si indignes quil est
juste que Dieu refuse à quelques-uns, à cause
de leur endurcissement, ce quil accorde aux autres
par une miséricorde qui ne leur est pas due. Sil
eût voulu surmonter lobstination des plus endurcis,
il leût pu, en se découvrant si manifestement
à eux quils neussent pu douter de la
vérité de son essence comme il paraîtra
au dernier jour avec un tel éclat de foudres et un
tel renversement de la nature que les morts ressusciteront
et les plus aveugles le verront. Ce nest pas en cette
sorte quil a voulu paraître dans son avènement
de douceur, parce que tant dhommes se rendant indignes
de sa clémence il a voulu les laisser dans la privation
du bien quils ne veulent pas. Il nétait
donc pas juste quil parût dune manière
manifestement divine et absolument capable de convaincre
tous les hommes, mais il nétait pas juste aussi
quil vînt dune manière si cachée
quil ne pût être reconnu de ceux qui le
chercheraient sincèrement. Il a voulu se rendre parfaitement
connaissable à ceux-là, et ainsi voulant paraître
à découvert à ceux qui le cherchent
de tout leur coeur, et caché à ceux qui le
fuient de tout leur coeur il a tempéré. A.
P. R. Pour demain. 2. Tempéré sa connaissance,
en sorte quil a donné des marques de soi visibles
à ceux qui le cherchent et non à ceux qui
ne le cherchent pas. Il y a assez de lumière pour
ceux qui ne désirent que de voir, et assez dobscurité
pour ceux qui ont une disposition contraire.
XII.
COMMENCEMENT
150.
Les impies qui font profession de suivre la raison doivent
être étrangement forts en raison. Que disent-ils
donc ? Ne voyons-nous pas, disent-ils, mourir et vivre
les bêtes comme les hommes, et les turcs comme les
chrétiens ; ils ont leurs cérémonies,
leurs prophètes, leurs docteurs, leurs saints, leurs
religieux comme nous, etc. Cela est-il contraire à
lEcriture ? Ne dit-elle pas tout cela ?
Si vous ne vous souciez guère de savoir la vérité,
en voilà assez pour vous laisser en repos. Mais si
vous désirez de tout votre coeur de la connaître
ce nest pas assez regardé au détail.
Cen serait assez pour une question de philosophie,
mais ici où il va de tout... et cependant après
une réflexion légère de cette sorte
on samusera etc. Quon sinforme de cette
religion, même si elle ne rend pas raison de cette
obscurité peut-être quelle nous lapprendra.
151.
nous sommes plaisants de nous reposer dans la société
de nos semblables, misérables comme nous, impuissants
comme nous ; ils ne nous aideront pas : on mourra
seul. Il faut donc faire comme si on était seul.
Et alors bâtirait-on des maisons superbes etc. On
chercherait la vérité sans hésiter.
Et si on le refuse on témoigne estimer plus lestime
des hommes que la recherche de la vérité.
152.
entre nous et lenfer ou le ciel il ny a
que la vie entre-deux qui est la chose du monde la plus
fragile.
153.
que me promettez-vous enfin ? Car dix ans est le
parti, sinon dix ans damour-propre, à bien
essayer de plaire sans y réussir, outre les peines
certaines ?
154.
partis. Il faut vivre autrement dans le monde, selon
ces diverses suppositions. 1. Si on pourrait y être
toujours. 5. Sil est sûr quon ny
sera pas longtemps, et incertain si on y sera une heure.
Cette dernière supposition est la nôtre.
155.
coeur instinct principes.
156.
plaindre les athées qui cherchent, car ne sont-ils
pas assez malheureux. Invectiver contre ceux qui en font
vanité.
157.
athéisme marque de force desprit, mais
jusquà un certain degré seulement.
158.
pour les partis vous devez vous mettre en peine de rechercher
la vérité, car si vous mourrez sans adorer
le vrai principe vous êtes perdu. Mais dites-vous,
sil avait voulu que je ladorasse il maurait
laissé des signes de sa volonté. Aussi a (-t-)
il fait, mais vous les négligez. Cherchez les donc ;
cela le vaut bien.
159.
si on doit donner huit jours de la vie on doit donner
cent ans.
160.
il ny a que trois sortes de personnes : les
uns qui servent Dieu layant trouvé, les autres
qui semploient à le chercher ne layant
pas trouvé, les autres qui vivent sans le chercher
ni lavoir trouvé. Les premiers sont raisonnables
et heureux, les derniers sont fous et malheureux. Ceux du
milieu sont malheureux et raisonnables.
161.
les athées doivent dire des choses parfaitement
claires. Or il nest point parfaitement clair que lâme
soit matérielle.
162.
commencer par plaindre les incrédules, ils sont
assez malheureux par leur condition. Il ne les faudrait
injurier quau cas que cela servît, mais cela
leur nuit.
163.
un homme dans un cachot, ne sachant pas si son arrêt
est donné, nayant plus quune heure pour
lapprendre, cette heure suffisant sil sait quil
est donné pour le faire révoquer. Il est contre
nature quil emploie cette heure là, non à
sinformer si larrêt est donné,
mais à jouer au piquet. Ainsi il est surnaturel que
lhomme etc. Cest un appesantissement de la main
de Dieu. Ainsi non seulement le zèle de ceux qui
le cherchent prouve Dieu, mais laveuglement de ceux
qui ne le cherchent pas.
164.
commencement. Cachot. Je trouve bon quon napprofondisse
pas lopinion de Copernic. Mais ceci : il importe
à toute la vie de savoir si lâme est
mortelle ou immortelle.
165.
le dernier acte est sanglant quelque belle que soit
la comédie en tout le reste. On jette enfin de la
terre sur la tête et en voilà pour jamais.
166.
nous courons sans souci dans le précipice après
que nous avons mis quelque chose devant nous pour nous empêcher
de le voir.
XIII.
SOUMISSION ET USAGE DE LA RAISON
167.
Soumission et usage de la raison : en quoi consiste
le vrai christianisme.
168.
que je hais ces sottises de ne pas croire leucharistie
etc. Si lévangile est vrai, si J.-C. est Dieu,
quelle difficulté y a (-t-) il là.
169.
je ne serais pas chrétien sans les miracles,
dit Saint Augustin.
170.
soumission. Il faut savoir douter où il faut,
assurer où il faut, en se soumettant où il
faut. Qui ne fait ainsi nentend pas la force de la
raison. Il y (en) a qui faillent contre ces trois principes,
ou en assurant tout comme démonstratif, manque de
se connaître en démonstration, ou en doutant
de tout, manque de savoir où il faut se soumettre,
ou en se soumettant en tout, manque de savoir où
il faut juger. Pyrrhonien, géomètre, chrétien :
doute, assurance, soumission.
172.
la conduite de Dieu, qui dispose toutes choses avec
douceur, est de mettre la religion dans lesprit par
les raisons et dans le coeur par la grâce, mais de
la vouloir mettre dans lesprit et dans le coeur par
la force et par les menaces, ce nest pas y mettre
la religion mais la terreur.
173.
si on soumet tout à la raison notre religion
naura rien de mystérieux et de surnaturel.
Si on choque les principes de la raison notre religion sera
absurde et ridicule.
174.
St Augustin. La raison ne se soumettrait jamais si elle
ne jugeait quil y a des occasions où elle se
doit soumettre. Il est donc juste quelle se soumette
quand elle juge quelle se doit soumettre.
175.
ce sera une des confusions des damnés de voir
quils seront condamnés par leur propre raison
par laquelle ils ont prétendu condamner la religion
chrétienne.
176.
ceux qui naiment pas la vérité prennent
le prétexte de la contestation et de la multitude
de ceux qui la nient, et ainsi leur erreur ne vient que
de ce quils naiment pas la vérité
ou la charité. Et ainsi ils ne sen sont pas
excusés.
177.
contradiction est une mauvaise marque de vérité.
Plusieurs choses certaines sont contredites. Plusieurs fausses
passent sans contradiction. Ni la contradiction nest
marque de fausseté ni lincontradiction nest
marque de vérité.
178.
voyez les deux sortes dhommes dans le titre :
perpétuité.
179.
il y a peu de vrais chrétiens. Je dis même
pour la foi. Il y en a bien qui croient mais par superstition.
Il y en a bien qui ne croient pas, mais par libertinage ;
peu sont entre-deux. Je ne comprends pas en cela ceux qui
sont dans la véritable piété de moeurs
et tous ceux qui croient par un sentiment du coeur.
180.
J.-C. a fait des miracles et les apôtres ensuite.
Et les premiers saints en grand nombre, parce que les prophéties
nétant pas encore accomplies, et saccomplissant
par eux, rien ne témoignait que les miracles. Il
était prédit que le messie convertirait les
nations. Comment cette prophétie se fût-elle
accomplie sans la conversion des nations, et comment les
nations se fussent-elles converties, au messie, ne voyant
pas ce dernier effet des prophéties qui le prouvent.
Avant donc quil ait été mort, ressuscité
et converti les nations tout nétait pas accompli
et ainsi il a fallu des miracles pendant tout ce temps.
Maintenant il nen faut plus contre les juifs, car
les prophéties accomplies sont un miracle subsistant.
181.
la piété est différente de la superstition.
Soutenir la piété jusquà la superstition
cest la détruire. Les hérétiques
nous reprochent cette soumission superstitieuse ; cest
faire ce quils nous reprochent. Impiété
de ne pas croire leucharistie sur ce quon ne
la voit pas. Superstition de croire des propositions etc.
Foi etc.
182.
il ny a rien de si conforme à la raison
que ce désaveu de la raison.
183.
2 excès exclure la raison, nadmettre que
la raison.
184.
on naurait point péché en ne croyant
pas J.-C. sans les miracles.
185.
la foi dit bien ce que les sens ne disent pas, mais
non pas le contraire de ce quils voient ; elle
est au dessus, et non pas contre.
186.
vous abusez de la créance que le peuple a en
lEglise et leur faites accroire.
187.
ce nest pas une chose rare quil faille reprendre
le monde de trop de docilité. Cest un vice
naturel comme lincrédulité et aussi
pernicieux. Superstition.
188.
la dernière démarche de la raison est
de reconnaître quil y a une infinité
de choses qui la surpassent. Elle nest que faible
si elle ne va jusquà connaître cela.
Que si les choses naturelles la surpassent, que dira (-t-)
on des surnaturelles ?
XIV.
EXCELLENCE
189.
Dieu par J.-C. Nous ne connaissons Dieu que par J.-C.
Sans ce médiateur est ôtée toute communication
avec Dieu. Par J.-C. nous connaissons Dieu. Tous ceux qui
ont prétendu connaître Dieu et le prouver sans
J.-C. navaient que des preuves impuissantes. Mais
pour prouver J.-C. nous avons les prophéties qui
sont des preuves solides et palpables. Et ces prophéties
étant accomplies et prouvées véritables
par lévénement marquent la certitude
de ces vérités et partant la preuve de la
divinité de J.-C. En lui et par lui nous connaissons
donc Dieu. Hors de là et sans lécriture,
sans le péché originel, sans médiateur
nécessaire, promis et arrivé, on ne peut prouver
absolument Dieu, ni enseigner ni bonne doctrine, ni bonne
morale. Mais par J.-C. et en J.-C. on prouve Dieu et on
enseigne la morale et la doctrine. J.-C. est donc le véritable
Dieu des hommes. Mais nous connaissons en même temps
notre misère, car ce Dieu là nest autre
chose que le réparateur de notre misère. Ainsi
nous ne pouvons bien connaître Dieu quen connaissant
nos iniquités. Aussi ceux qui ont connu Dieu sans
connaître leur misère ne lont pas glorifié,
mais sen sont glorifiés.
190.
préface. Les preuves de Dieu métaphysiques
sont si éloignées du raisonnement des hommes
et si impliquées, quelles frappent peu et quand
cela servirait à quelques-uns, cela ne servirait
que pendant linstant quils voient cette démonstration,
mais une heure après ils craignent de sêtre
trompés. Cest ce que produit la connaissance
de Dieu qui se tire sans J.-C. qui est de communiquer sans
médiateur, avec le Dieu quon a connu sans médiateur.
Au lieu que ceux qui ont connu Dieu par médiateur
connaissent leur misère.
191.
il est non seulement impossible mais inutile de connaître
Dieu sans J.-C. Ils ne sen sont pas éloignés
mais approchés ; ils ne se sont pas abaissés
mais...
192.
la connaissance de Dieu sans celle de sa misère
fait lorgueil. La connaissance de sa misère
sans celle de Dieu fait le désespoir. La connaissance
de J.-C. fait le milieu parce que nous y trouvons, et Dieu
et notre misère.
XV.
TRANSITION
193.
La prévention induisant en erreur. Cest
une chose déplorable de voir tous les hommes ne délibérer
que des moyens et point de la fin. Chacun songe comment
il sacquittera de sa condition, mais pour le choix
de la condition, et de la patrie le sort nous le donne.
Cest une chose pitoyable de voir tant de turcs, dhérétiques,
dinfidèles, suivre le train de leurs pères,
par cette seule raison quils ont été
prévenus chacun que cest le meilleur et cest
ce qui détermine chacun à chaque condition
de serrurier, soldat etc. Cest par là que les
sauvages nont que faire de la Provence.
194.
pourquoi ma connaissance est-elle bornée, ma
taille, ma durée à 100 ans plutôt quà
1000 ? Quelle raison a eu la nature de me la donner
telle et de choisir ce milieu plutôt quun autre
dans linfinité, desquels il ny a pas
plus de raison de choisir lun que lautre, rien
ne tentant plus que lautre ?
198.
en voyant laveuglement et la misère de
lhomme, en regardant tout lunivers muet et lhomme
sans lumière abandonné à lui-même,
et comme égaré dans ce recoin de lunivers
sans savoir qui ly a mis, ce quil y est venu
faire, ce quil deviendra en mourant, incapable de
toute connaissance, jentre en effroi comme un homme
quon aurait porté endormi dans une île
déserte et effroyable, et qui séveillerait
sans connaître et sans moyen den sortir. Et
sur cela jadmire comment on nentre point en
désespoir dun si misérable état.
Je vois dautres personnes auprès de moi dune
semblable nature. Je leur demande sils sont mieux
instruits que moi. Ils me disent que non et sur cela ces
misérables égarés, ayant regardé
autour deux et ayant vu quelques objets plaisants
sy sont donnés et sy sont attachés.
Pour moi je nai pu y prendre dattache et considérant
combien il y a plus dapparence quil y a autre
chose que ce que je vois jai recherché si ce
Dieu naurait point laissé quelque marque de
soi. Je vois plusieurs religions contraires et partant toutes
fausses, excepté une. Chacune veut être crue
par sa propre autorité et menace les incrédules.
Je ne les crois donc pas là dessus. Chacun peut dire
cela. Chacun peut se dire prophète mais je vois la
chrétienne et je trouve des prophéties, et
cest ce que chacun ne peut pas faire.
199.
disproportion de lhomme. Que lhomme contemple
donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté,
quil éloigne la vue des objets bas qui lenvironnent.
Quil regarde cette éclatante lumière
mise comme une lampe éternelle pour éclairer
lunivers, que la terre lui paraisse comme un point
au prix du vaste tour que cet astre décrit, et quil
sétonne de ce que ce vaste tour lui-même
nest quune pointe très délicate
à légard de celui que ces astres, qui
roulent dans le firmament, embrassent. Mais si notre vue
sarrête là que limagination passe
outre, elle se lassera plutôt de concevoir que la
nature de fournir. Tout ce monde visible nest quun
trait imperceptible dans lample sein de la nature.
Nulle idée nen approche, nous avons beau enfler
nos conceptions au delà des espaces imaginables,
nous nenfantons que des atomes au prix de la réalité
des choses. Cest une sphère infinie dont le
centre est partout, la circonférence nulle part.
Enfin cest le plus grand caractère sensible
de la toute puissance de Dieu que notre imagination se perde
dans cette pensée. Que lhomme étant
revenu à soi considère ce quil est au
prix de ce qui est, quil se regarde comme égaré,
et que de ce petit cachot où il se trouve logé,
jentends lunivers, il apprenne à estimer,
la terre, les royaumes, les villes, les maisons et soi-même,
son juste prix. Quest-ce quun homme, dans linfini ?
Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant,
quil recherche dans ce quil connaît les
choses les plus délicates, quun ciron lui offre
dans la petitesse de son corps des parties incomparablement
plus petites, des jambes avec des jointures, des veines
dans ses jambes, du sang dans ses veines, des humeurs dans
ce sang, des gouttes dans ses humeurs, des vapeurs dans
ces gouttes, que divisant encore ces dernières choses
il épuise ses forces en ces conceptions et que le
dernier objet où il peut arriver soit maintenant
celui de notre discours. Il pensera peut-être que
cest là lextrême petitesse de la
nature. Je veux lui faire voir là dedans un abîme
nouveau. Je lui veux peindre non seulement lunivers
visible, mais limmensité quon peut concevoir
de la nature dans lenceinte de ce raccourci datome,
quil y voie, une infinité dunivers, dont
chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en
la même proportion que le monde visible, dans cette
terre des animaux, et enfin des cirons. Dans lesquels il
retrouvera ce que les premiers ont donné, et trouvant
encore dans les autres la même chose sans fin et sans
repos, quil se perdra dans ces merveilles aussi étonnantes
dans leur petitesse, que les autres par leur étendue,
car qui nadmirera que notre corps, qui tantôt
nétait pas perceptible dans lunivers
imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit
à présent un colosse un monde ou plutôt
un tout à légard du néant où
lon ne peut arriver. Qui se considèrera de
la sorte seffraiera de soi-même et se considérant
soutenu dans la masse que la nature lui a donnée
entre ces deux abîmes de linfini et du néant
il tremblera dans la vue de ces merveilles et je crois que
sa curiosité se changeant en admiration il sera plus
disposé à les contempler en silence quà
les rechercher avec présomption. Car enfin quest-ce
que lhomme dans la nature ? Un néant à
légard de linfini, un tout à légard
du néant, un milieu entre rien et tout, infiniment
éloigné de comprendre les extrêmes ;
la fin des choses et leurs principes sont pour lui invinciblement
cachés dans un secret impénétrable.
Egalement incapable de voir le néant doù
il est tiré et linfini où il est englouti.
Que fera (-t-) il donc sinon dapercevoir quelque apparence
du milieu des choses dans un désespoir éternel
de connaître ni leur principe ni leur fin. Toutes
choses sont sorties du néant et portées jusquà
linfini. Qui suivra ces étonnantes démarches ?
Lauteur de ces merveilles les comprend. Tout autre
ne le peut faire. Manque davoir contemplé ces
infinis les hommes se sont portés témérairement
à la recherche de la nature comme sils avaient
quelque proportion avec elle. Cest une chose étrange
quils ont voulu comprendre les principes des choses
et de là arriver jusquà connaître
tout, par une présomption aussi infinie que leur
objet. Car il est sans doute quon ne peut former ce
dessein sans une présomption ou sans une capacité
infinie, comme la nature. Quand on est instruit on comprend
que la nature ayant gravé son image et celle de son
auteur dans toutes choses elles tiennent presque toutes
de sa double infinité. Cest ainsi que nous
voyons que toutes les sciences sont infinies en létendue
de leurs recherches, car qui doute que la géométrie
par exemple a une infinité dinfinités
de propositions à exposer. Elles sont aussi infinies
dans la multitude et la délicatesse de leurs principes,
car qui ne voit que ceux quon propose pour les derniers
ne se soutiennent pas deux-mêmes et quils
sont appuyés sur dautres qui en ayant dautres
pour appui ne souffrent jamais de dernier. Mais nous faisons
des derniers qui paraissent à la raison, comme on
fait dans les choses matérielles où nous appelons
un point indivisible, celui au delà duquel nos sens
naperçoivent plus rien, quoique divisible infiniment
et par sa nature. De ces deux infinis des sciences celui
de grandeur est bien plus sensible, et cest pourquoi
il est arrivé à peu de personnes de prétendre
connaître toutes choses. Je vais parler de tout, disait
Démocrite. Mais linfinité en petitesse
est bien moins visible. Les philosophes ont bien plutôt
prétendu dy arriver, et cest là
où tous ont achoppé. Cest ce qui a donné
lieu à ces titres si ordinaires, et aux semblables
aussi fastueux en effet, quoique moins en apparence que
cet autre qui crève les yeux : etc. On se croit
naturellement bien plus capable darriver au centre
des choses que dembrasser leur circonférence,
et létendue visible du monde nous surpasse
visiblement. Mais comme cest nous qui surpassons les
petites choses nous nous croyons plus capables de les posséder,
et cependant etc. Il ne faut pas moins de capacité
pour aller jusquau néant que jusquau
tout. Il la faut infinie pour lun et lautre,
et il me semble que qui aurait compris les derniers principes
des choses pourrait aussi arriver jusquà connaître
linfini. Lun dépend de lautre et
lun conduit à lautre. Ces extrémités
se touchent et se réunissent à force de sêtre
éloignées et se retrouvent en Dieu, et en
Dieu seulement. Connaissons donc notre portée. Nous
sommes quelque chose et ne sommes pas tout. Ce que nous
avons dêtre nous dérobe la connaissance
des premiers principes qui naissent du néant, et
le peu que nous avons dêtre nous cache la vue
de linfini. Notre intelligence tient dans lordre
des choses intelligibles le même rang que notre corps
dans létendue de la nature. Bornés en
tout genre, cet état qui tient le milieu entre deux
extrêmes se trouve en toutes nos puissances. Nos sens
naperçoivent rien dextrême, trop
de bruit nous assourdit, trop de lumière éblouit,
trop de distance et trop de proximité empêche
la vue. Trop de longueur et trop de brièveté
de discours lobscurcit, trop de vérité
nous étonne. Jen sais qui ne peuvent comprendre
que qui de zéro ôte 4 reste zéro. Les
premiers principes ont trop dévidence pour
nous ; trop de plaisir incommode, trop de consonances
déplaisent dans la musique, et trop de bienfaits
irritent. Nous voulons avoir de quoi surpasser la dette.
Nous ne sentons ni lextrême chaud, ni lextrême
froid. Les qualités excessives nous sont ennemies
et non pas sensibles, nous ne les sentons plus, nous les
souffrons. Trop de jeunesse et trop de vieillesse empêche
lesprit ; trop et trop peu dinstruction.
Enfin les choses extrêmes sont pour nous comme si
elles nétaient point et nous ne sommes point
à leur égard ; elles nous échappent
ou nous à elles. Voilà notre état véritable.
Cest ce qui nous rend incapables de savoir certainement
et dignorer absolument. Nous voguons sur un milieu
vaste, toujours incertains et flottants, poussés
dun bout vers lautre ; quelque terme où
nous pensions nous attacher et nous affermir, il branle,
et nous quitte, et si nous le suivons il échappe
à nos prises, nous glisse et fuit dune fuite
éternelle ; rien ne sarrête pour
nous. Cest létat qui nous est naturel
et toutefois le plus contraire à notre inclination.
Nous brûlons du désir de trouver une assiette
ferme, et une dernière base constante pour y édifier
une tour qui sélève à (l)infini,
mais tout notre fondement craque et la terre souvre
jusquaux abîmes. Ne cherchons donc point dassurance
et de fermeté ; notre raison est toujours déçue
par linconstance des apparences : rien ne peut
fixer le fini entre les deux infinis qui lenferment
et le fuient. Cela étant bien compris je crois quon
se tiendra en repos, chacun dans létat où
la nature la placé. Ce milieu qui nous est
échu en partage étant toujours distant des
extrêmes, quimporte quun autre ait un
peu plus dintelligence des choses sil en a et
sil les prend un peu de plus haut nest-il pas
toujours infiniment éloigné du bout et la
durée de notre vie nest-elle pas également
infime de léternité pour durer dix ans
davantage. Dans la vue de ces infinis tous les finis sont
égaux et je ne vois pas pourquoi asseoir son imagination
plutôt sur un que sur lautre. La seule comparaison
que nous faisons de nous au fini nous fait peine. Si lhomme
sétudiait il verrait combien il est incapable
de passer outre. Comment se pourrait-il quune partie
connût le tout ? Mais il aspirera peut-être
à connaître au moins les parties avec lesquelles
il a de la proportion. Mais les parties du monde ont toutes
un tel rapport et un tel enchaînement lune avec
lautre que je crois impossible de connaître
lune sans lautre et sans le tout. Lhomme
par exemple a rapport à tout ce quil connaît.
Il a besoin de lieu pour le contenir, de temps pour durer,
de mouvement pour vivre, déléments pour
le composer de chaleur et daliments pour se nourrir,
dair pour respirer. Il voit la lumière, il
sent les corps, enfin tout tombe sous son alliance. Il faut
donc pour connaître lhomme savoir doù
vient quil a besoin dair pour subsister et pour
connaître lair, savoir par où il a ce
rapport à la vie de lhomme, etc. La flamme
ne subsiste point sans lair ; donc pour connaître
lun il faut connaître lautre. Donc toutes
choses étant causées et causantes, aidées
et aidantes, médiates et immédiates et toutes
sentretenant par un lien naturel et insensible qui
lie les plus éloignées et les plus différentes,
je tiens impossible de connaître les parties sans
connaître le tout, non plus que de connaître
le tout sans connaître particulièrement les
parties. Et ce qui achève notre impuissance à
connaître les choses est quelles sont simples
en elles-mêmes et que nous sommes composés
de deux natures opposées et de divers genres, dâme
et de corps. Car il est impossible que la partie qui raisonne
en nous soit autre que spirituelle et quand on prétendrait
que nous serions simplement corporels cela nous exclurait
bien davantage de la connaissance des choses, ny ayant
rien de si inconcevable que de dire que la matière
se connaît soi-même. Il ne nous est pas possible
de connaître comment elle se connaîtrait. Et
ainsi si nous sommes simples matériels nous
ne pouvons rien du tout connaître, et si nous sommes
composés desprit et de matière nous
ne pouvons connaître parfaitement les choses simples
spirituelles ou corporelles. De là vient que presque
tous les philosophes confondent les idées des choses
et parlent des choses corporelles spirituellement et des
spirituelles corporellement, car ils disent hardiment que
les corps tend(ent) en bas, quils aspirent à
leur centre, quils fuient leur destruction, quils
craignent le vide, quils (ont) des inclinations, des
sympathies, des antipathies, toutes choses qui nappartiennent
quaux esprits. Et en parlant des esprits ils les considèrent
comme en un lieu, et leur attribuent le mouvement dune
place à une autre, qui sont choses qui nappartiennent
quaux corps. Au lieu de recevoir les idées
de ces choses pures, nous les teignons de nos qualités
et empreignons notre être composé (de) toutes
les choses simples que nous contemplons. Qui ne croirait
à nous voir composer toutes choses desprit
et de corps que ce mélange là nous serait
bien compréhensible. Cest néanmoins
la chose quon comprend le moins ; lhomme
est à lui-même le plus prodigieux objet de
la nature, car il ne peut concevoir ce que cest que
corps et encore moins ce que cest quesprit,
et moins quaucune chose comment un corps peut être
uni avec un esprit. Cest là le comble de ses
difficultés et cependant cest son propre être.
Enfin pour consommer la preuve de notre faiblesse je finirai
par ces deux considérations...
200.
lhomme nest quun roseau, le plus faible
de la nature, mais cest un roseau pensant. Il ne faut
pas que lunivers entier sarme pour lécraser ;
une vapeur, une goutte deau suffit pour le tuer. Mais
quand lunivers lécraserait, lhomme
serait encore plus noble que ce qui le tue, puisquil
sait quil meurt et lavantage que lunivers
a sur lui. Lunivers nen sait rien. Toute notre
dignité consiste donc en la pensée. Cest
de là quil nous faut relever et non de lespace
et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons
donc à bien penser : voilà le principe
de la morale.
201.
le silence éternel de ces espaces infinis meffraie.
202.
Consolez-vous ; ce nest point de vous que
vous devez lattendre, mais au contraire en nattendant
rien de vous que vous devez lattendre.
XVI.
FAUSSETE DES AUTRES RELIGIONS
203.
Fausseté des autres religions. Mahomet sans autorité.
Il faudrait donc que ses raisons fussent bien puissantes,
nayant que leur propre force. Que dit-il donc ?
Quil faut le croire.
204.
fausseté des autres religions. Ils nont
point de témoins. Ceux-ci en ont. Dieu défie
les autres religions de produire de telles marques. Etc.
205.
sil y a un seul principe de tout, une seule fin
de tout, -tout par lui, tout pour lui, -il faut donc que
la vraie religion nous enseigne à nadorer que
lui et à naimer que lui. Mais comme nous nous
trouvons dans limpuissance dadorer ce que nous
ne connaissons pas et daimer autre chose que nous
il faut que la religion qui instruit de ces devoirs nous
instruise aussi de ces impuissances et quelle nous
apprenne aussi les remèdes. Elle nous apprend que
par un homme tout a été perdu et la liaison
rompue entre Dieu et nous, et que par un homme la liaison
est réparée. Nous naissons si contraires à
cet amour de Dieu et il est si nécessaire quil
faut que nous naissions coupables, ou Dieu serait injuste.
207.
contre Mahomet. Lalcoran nest pas plus de
Mahomet que lEvangile de Saint Mathieu. Car il est
cité de plusieurs auteurs de siècle en siècle.
Les ennemis même, Celse et Porphyre, ne lont
jamais désavoué. Lalcoran dit que Saint
Mathieu était homme de bien, donc il était
faux prophète ou en appelant gens de bien des méchants,
ou en ne demeurant pas daccord de ce quils ont
dit de J. -C.
208
sans ces divines connaissances quont pu faire
les hommes sinon ou sélever dans le sentiment
intérieur qui leur reste de leur grandeur passée,
ou sabattre dans la vue de leur faiblesse présente.
Car ne voyant pas la vérité entière
ils nont pu arriver à une parfaite vertu, les
uns considérant la nature comme incorrompue, les
autres comme irréparable, ils nont pu fuir
ou lorgueil ou la paresse qui sont les deux sources
de tous les vices, puisquil ne peut sinon ou sy
abandonner par lâcheté, ou en sortir par lorgueil.
Car sils connaissaient lexcellence de lhomme,
ils en ignorent la corruption de sorte quils évitaient
bien la paresse, mais ils se perdaient dans la superbe et
sils reconnaissent linfirmité de la nature
ils en ignorent la dignité de sorte quils pouvaient
bien éviter la vanité mais cétait
en se précipitant dans le désespoir. De là
viennent les diverses sectes des stoïques et des épicuriens,
des dogmatistes et des académiciens, etc. La seule
religion chrétienne a pu guérir ces deux vices,
non pas en chassant lun par lautre par la sagesse
de la terre, mais en chassant lun et lautre
par la simplicité de lEvangile. Car elle apprend
aux justes quelle élève jusquà
la participation de la divinité même quen
ce sublime état ils portent encore la source de toute
la corruption qui les rend durant toute la vie sujets à
lerreur, à la misère, à la mort,
au péché, et elle crie aux plus impies quils
sont capables de la grâce de leur rédempteur.
Ainsi donnant à trembler à ceux quelle
justifie et consolant ceux quelle condamne elle tempère
avec tant de justesse la crainte avec lespérance
par cette double capacité qui est commune à
tous et de la grâce et du péché. cest
donc elle seule qui donne les vérités et les
vertus pures ; quelle abaisse infiniment
plus que la seule raison ne peut faire mais sans désespérer
et quelle élève infiniment plus que
lorgueil de la nature, mais sans enfler, et que faisant
bien voir par là quétant seule exempte
derreur et de vice il nappartient quà
elle et dinstruire et de corriger les hommes. Qui
peut donc refuser à ces célestes lumières
de les croire et de les adorer. Car nest-il pas plus
clair que le jour que nous sentons en nous-mêmes des
caractères ineffaçables dexcellence
et nest-il pas aussi véritable que nous éprouvons
à toute heure les effets de notre déplorable
condition. Que nous crie donc ce chaos et cette confusion
monstrueuse sinon la vérité de ces deux états
avec une voix si puissante quil est impossible de
résister ?
209.
différence entre J.-C. et Mahomet. Mahomet non
prédit, J.-C. prédit. Mahomet en tuant, J.-C.
en faisant tuer les siens. Mahomet en défendant de
lire, les apôtres en ordonnant de lire. Enfin cela
est si contraire que si Mahomet a pris la voie de réussir
humainement, J.-C. a pris celle de périr humainement
et quau lieu de conclure que puisque Mahomet a réussi,
J.-C. a bien pu réussir, il faut dire que puisque
Mahomet a réussi, J.-C. devait périr.
210.
tous les hommes se haïssent naturellement lun
lautre. On sest servi comme on a pu de la concupiscence
pour la faire servir au bien public. Mais ce nest
que feindre et une fausse image de la charité, car
au fond ce nest que haine.
211.
on a fondé et tiré de la concupiscence
des règles admirables de police, de morale, et de
justice. Mais dans le fond, ce vilain fond de lhomme,
ce figmentum malum nest que couvert. Il nest
pas ôté.
212.
J.-C. est un Dieu dont on sapproche sans orgueil
et sous lequel on sabaisse sans désespoir.
214.
la vraie religion doit avoir pour marque dobliger
à aimer son Dieu. Cela est bien juste et cependant
aucune ne la ordonné, la nôtre la
fait. Elle doit encore avoir connu la concupiscence et limpuissance,
la nôtre la fait. Elle doit y avoir apporté
des remèdes, lun est la prière. Nulle
religion na demandé à Dieu de laimer
et de le suivre.
215.
après avoir entendu toute la nature de lhomme
il faut pour faire quune religion soit vraie quelle
ait connu notre nature. Elle doit avoir connu la grandeur
et la petitesse et la raison de lune et de lautre.
Qui la connue que la chrétienne ?
216.
la vraie religion enseigne nos devoirs, nos impuissances,
orgueil et concupiscence, et les remèdes, humilité,
mortification.
217.
il y a des figures claires et démonstratives,
mais il y en a dautres qui semblent un peu tirées
par les cheveux, et qui ne prouvent quà ceux
qui sont persuadés dailleurs. Celles-là
sont semblables aux apocalyptiques. Mais la différence
quil y a cest quils nen ont point
dindubitables tellement quil ny a rien
de si injuste que quand ils montrent que les leurs sont
aussi bien fondées que quelques-unes des nôtres.
Car ils nen ont pas de démonstratives comme
quelques-unes des nôtres. La partie nest donc
pas égale. Il ne faut pas égaler et confondre
ces choses parce quelles semblent être semblables
par un bout, étant si différentes par lautre.
Ce sont les clartés qui méritent, quand elles
sont divines, quon révère les obscurités.
218.
ce nest pas par ce quil y a dobscur
dans Mahomet et quon peut faire passer pour un sens
mystérieux que je veux quon en juge, mais par
ce quil y a de clair, par son paradis et par le reste.
Cest en cela quil est ridicule. Et cest
pourquoi il nest pas juste de prendre ses obscurités
pour des mystères, vu que ses clartés sont
ridicules. Il nen est pas de même de lEcriture.
Je veux quil y ait des obscurités qui soient
aussi bizarres que celles de Mahomet, mais il y a des clartés
admirables et des prophéties manifestes et accomplies.
La partie nest donc pas égale. Il ne faut pas
confondre et égaler les choses qui ne se ressemblent
que par lobscurité et non pas par la clarté
qui mérite quon révère les obscurités.
219.
Les autres religions, comme les païennes, sont
plus populaires, car elles sont en extérieur, mais
elles ne sont pas pour les gens habiles. Une religion purement
intellectuelle serait plus proportionnée aux habiles,
mais elle ne servirait pas au peuple. La seule religion
chrétienne est proportionnée à tous,
étant mêlée dextérieur
et dintérieur. Elle élève le
peuple à lintérieur, et abaisse les
superbes à lextérieur, et nest
pas parfaite sans les deux, car il faut que le peuple entende
lesprit de la lettre et que les habiles soumettent
leur esprit à la lettre.
220
nulle autre religion na proposé de se haïr,
nulle autre religion ne peut donc plaire à ceux qui
se haïssent et qui cherchent un être véritablement
aimable. Et ceux-là sils navaient jamais
ouï parler de la religion dun Dieu humilié
lembrasseraient incontinent.
XVII.
RENDRE LA RELIGION AIMABLE
221.
J.-C. pour tous. Moïse pour un peuple. Les juifs
bénis en Abraham. Je bénirai ceux qui te béniront,
mais toutes nations bénies en sa semence. (...),
disait David, en parlant de la loi. Mais en parlant de J.-C.
il faut dire : (...) Isaïe. Aussi cest à
J.-C. dêtre universel ; lEglise même
noffre le sacrifice que pour les fidèles. J.-C.
a offert celui de la croix pour tous.
222.
les juifs charnels et les païens ont des misères
et les chrétiens aussi. Il ny a point de rédempteur
pour les païens, car ils (n) en espèrent
pas seulement. Il ny a point de rédempteur
pour les juifs : ils lespèrent en vain.
Il ny a de rédempteur que pour les chrétiens.
Voyez perpétuité.
XVIII.
FONDEMENTS
223.
Il faut mettre au chap. Des fondements ce qui
est en celui des figuratifs touchant la cause des
figures. Pourquoi J.-C. prophétisé en son
premier avènement ? Pourquoi prophétisé
obscurément en la manière.
224.
incrédules les plus crédules, ils croient
les miracles de Vespasien pour ne pas croire ceux de Moïse.
225.
comme J.-C. est demeuré inconnu parmi les hommes ;
ainsi la vérité demeure parmi les opinions
communes sans différence à lextérieur.
Ainsi leucharistie parmi le pain commun.
226.
toute la foi consiste en J.-C. et en Adam et toute la
morale en la concupiscence et en la grâce.
227.
quont-ils à dire contre la résurrection,
et contre lenfantement dune vierge. Quest-il
plus difficile de produire un homme ou un animal, que de
le reproduire. Et sils navaient jamais vu une
espèce danimaux pourraient-ils deviner sils
se produisent sans la compagnie les uns des autres ?
228.
que disent les prophètes de J.-C. ? Quil
sera évidemment Dieu ? Non mais quil est
un Dieu véritablement caché, quil sera
méconnu, quon ne pensera point que ce soit
lui, quil sera une pierre dachoppement, à
laquelle plusieurs heurteront etc. Quon ne nous reproche
donc plus le manque de clarté puisque nous en faisons
profession. Mais, dit-on, il y a des obscurités et
sans cela on ne serait pas aheurté à J.-C.
Et cest un des desseins formels des prophètes :
etc.
229.
ce que les hommes par leurs plus grandes lumières
avaient pu connaître, cette religion lenseignait
à ses enfants.
230.
tout ce qui est incompréhensible ne laisse pas
dêtre.
232.
on nentend rien aux ouvrages de Dieu si on ne
prend pour principe quil a voulu aveugler les uns
et éclaircir les autres.
233.
J.-C. ne dit pas quil nest pas de Nazareth
pour laisser les méchants dans laveuglement,
ni quil nest pas fils de Joseph.
234.
Dieu veut plus disposer la volonté que lesprit,
la clarté parfaite servirait à lesprit
et nuirait à la volonté. Abaisser la superbe.
235.
J.-C. est venu aveugler ceux qui voient clair et donner
la vue aux aveugles, guérir les malades, et laisser
mourir les sains appeler à pénitence et justifier
les pêcheurs, et laisser les justes dans leurs péchés,
remplir les indigents et laisser les riches vides.
236.
aveugler. Eclaircir. Saint Aug. Montag. Sebonde.
Il y a assez de clarté pour éclairer les élus
et assez dobscurité pour les humilier. Il y
a assez dobscurité pour aveugler les réprouvés
et assez de clarté pour les condamner et les rendre
inexcusables. La généalogie de J.-C. dans
lancien testament est mêlée parmi tant
dautres inutiles, quelle ne peut être
discernée. Si Moïse neut tenu registre
que des ancêtres de J.-C. cela eut été
trop visible ; sil neût pas marqué
celle de J.-C. cela neût pas été
assez visible, mais après tout qui y regarde de près
voit celle de J.-C. bien discernée par Thamar, Ruth,
etc. Ceux qui ordonnaient ces sacrifices en savaient linutilité
et ceux qui en ont déclaré linutilité
nont pas laissé de les pratiquer. Si Dieu neût
permis quune seule religion elle eût été
trop reconnaissable. Mais quon y regarde de près
on discerne bien la vraie dans cette confusion. Principe :
Moïse était habile homme. Si donc il se gouvernait
par son esprit il ne devait rien mettre qui fût directement
contre lesprit. Ainsi toutes les faiblesses très
apparentes sont des forces. Exemple. Les deux généalogies
de St Matthieu et St Luc. Quy a (-t-) il de plus clair
que cela na pas été fait de concert.
237.
si J.-C. nétait venu que pour sanctifier,
toute lEcriture et toutes choses y tendraient et il
serait bien aisé de convaincre les infidèles.
Si J.-C. nétait venu que pour aveugler toute
sa conduite serait confuse et nous naurions aucun
moyen de convaincre les infidèles, mais comme il
est venu etc., comme dit Isaïe, nous ne pouvons convaincre
les infidèles. Et ils ne peuvent nous convaincre,
mais par là même nous les convainquons, puisque
nous disons quil ny a point de conviction dans
toute sa conduite de part ni dautre.
238.
figures. Dieu voulant priver les siens des biens périssables
pour montrer que ce nétait pas par impuissance,
il a fait le peuple juif.
239.
lhomme nest pas digne de Dieu mais il nest
pas incapable den être rendu digne. Il est indigne
de Dieu de se joindre à lhomme misérable
mais il nest pas indigne de Dieu de le tirer de sa
misère.
240.
preuve. Prophétie avec laccomplissement.
Ce qui a précédé et ce qui a suivi
J.-C..
241.
source des contrariétés. Un Dieu humilié
et jusquà la mort de la croix. 2 natures
en J.-C. Deux avènements. 2 états de la
nature de lhomme. Un messie triomphant de la mort
par sa mort.
continua
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