Blaise
Pascal Pensées
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VIII.
DIVERTISSEMENT
132.
Divertissement — Si l’homme était heureux
il le serait d’autant plus qu’il serait moins
diverti, comme les saints et Dieu. Oui ; mais n’est-ce
pas être heureux que de pouvoir être réjoui
par le divertissement ? — Non ; car il vient
d’ailleurs et de dehors ; et ainsi il est dépendant,
et partout, sujet à être troublé par
mille accidents, qui font les afflictions inévitables.
133.
divertissement. Les hommes n’ayant pu guérir
la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont
avisés, pour se rendre heureux, de n’y point
penser.
134.
nonobstant ces misères il veut être heureux
et ne veut être qu’heureux, et ne peut ne vouloir
pas l’être. Mais comment s’y prendra (-t-)
il. Il faudrait pour bien faire qu’il se rendît
immortel, mais ne le pouvant il s’est avisé
de s’empêcher d’y penser.
135.
je sens que je puis n’avoir point été,
car le moi consiste dans ma pensée ; donc moi
qui pense n’aurais point été, si ma mère
eût été tuée avant que j’eusse
été animé, donc je ne suis pas un être
nécessaire. Je ne suis pas aussi éternel ni
infini, mais je vois bien qu’il y a dans la nature
un être nécessaire, éternel et infini.
136.
divertissement. Quand je m’y suis mis quelquefois
à considérer les diverses agitations des hommes,
et les périls, et les peines où ils s’exposent
dans la cour, dans la guerre d’où naissent tant
de querelles, de passions, d’entreprises hardies et
souvent mauvaises, etc., j’ai dit souvent que tout
le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui
est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre.
Un homme qui a assez de bien pour vivre, s’il savait
demeurer chez soi avec plaisir n’en sortirait pas pour
aller sur la mer ou au siège d’une place ;
on n’achèterait une charge à l’armée
si cher que parce qu’on trouverait insupportable de
ne bouger de la ville et on ne recherche les conversations
et les divertissements des jeux que parce qu’on ne
demeure chez soi avec plaisir. Mais quand j’ai pensé
de plus près et qu’après avoir trouvé
la cause de tous nos malheurs j’ai voulu en découvrir
les raison(s), j’ai trouvé qu’il y en a
une bien effective qui consiste dans le malheur naturel
de notre condition faible et mortelle et si misérable
que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de
près. Quelque condition qu’on se figure où
l’on assemble tous les biens qui peuvent nous appartenir.
La royauté est le plus beau poste du monde et cependant
qu’on s’en imagine, accompagné de toutes
les satisfactions qui peuvent le toucher. S’il est
sans divertissement et qu’on le laisse considérer
et faire réflexion sur ce qu’il est-cette félicité
languissante ne le soutiendra point-il tombera par nécessité
dans les vues qui le menacent, des révoltes qui peuvent
arriver et enfin de la mort et des maladies qui sont inévitables,
de sorte que s’il est, sans ce qu’on appelle divertissement
le voilà malheureux, et plus malheureux que le moindre
de ses sujets qui joue et qui se divertit. De là
vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre,
les grands emplois sont si recherchés. Ce n’est
pas qu’il y ait en effet du bonheur, ni qu’on
s’imagine que la vraie béatitude, soit d’avoir
l’argent qu’on peut gagner au jeu, ou dans le
lièvre qu’on court, on n’en voudrait pas
s’il était offert. Ce n’est pas cet usage
mol et paisible et qui nous laisse penser à notre
malheureuse condition qu’on recherche ni les dangers
de la guerre, ni la peine des emplois, mais c’est le
tracas qui nous détourne d’y penser et nous
divertit. Raison pourquoi on aime mieux la chasse que la
prise. De là vient que les hommes aiment tant le
bruit et le remuement. De là vient que la prison
est un supplice si horrible, de là vient que le plaisir
de la solitude est une chose incompréhensible. Et
c’est enfin le plus grand sujet de félicité
de la condition des rois, de ce qu’on essaie sans cesse
à les divertir et à leur procurer toutes sortes
de plaisirs. Le roi est environné de gens qui ne
pensent qu’à divertir le roi et à l’empêcher
de penser à lui. Car il est malheureux tout roi qu’il
est s’il y pense. Voilà tout ce que les hommes
ont pu inventer pour se rendre heureux et ceux qui font
sur cela les philosophes et qui croient que le monde est
bien peu raisonnable de passer tout le jour à courir
après un lièvre qu’ils ne voudraient
pas avoir acheté, ne connaissent guère notre
nature. Ce lièvre ne nous garantirait pas de la vue
de la mort et des misères qui nous en détourne,
mais la chasse nous en garantit. Et ainsi le conseil qu’on
donnait à Pyrrhus de prendre le repos qu’il
allait chercher par tant de fatigues, recevait bien des
difficultés. Et ainsi quand on leur reproche que
ce qu’ils recherchent avec tant d’ardeur ne saurait
les satisfaire, s’ils répondaient comme ils
devraient le faire, s’ils y pensaient bien, qu’ils
ne recherchent en cela qu’une occupation violente et
impétueuse qui les détourne de penser à
soi et que c’est pour cela qu’ils se proposent
un objet attirant qui les charme et les attire avec ardeur
ils laisseraient leurs adversaires sans répartie...
— la vanité le plaisir de la montrer aux autres.
— la danse, il faut bien penser où l’on
mettra ses pieds — mais ils ne répondent pas
cela parce qu’ils ne se connaissent pas eux-mêmes.
Ils ne savent pas que ce n’est que la chasse et non
la prise qu’ils recherchent — le gentilhomme croit
sincèrement que la chasse est un plaisir grand et
un plaisir royal, mais son piqueur n’est pas de ce
sentiment-là. — Ils s’imaginent que s’ils
avaient obtenu cette charge, ils se reposeraient ensuite
avec plaisir et ne sentent pas la nature insatiable de la
cupidité. Ils croient chercher sincèrement
le repos et ne cherchent en effet que l’agitation.
Ils ont un instinct secret qui les porte à chercher
le divertissement et l’occupation au dehors, qui vient
du ressentiment de leurs misères continuelles. Et
ils ont un autre instinct secret qui reste de la grandeur
de notre première nature, qui leur fait connaître
que le bonheur n’est en effet que dans le repos et
non pas dans le tumulte. Et de ces deux instincts contraires
il se forme en eux un projet confus qui se cache à
leur vue dans le fond de leur âme qui les porte à
tendre au repos par l’agitation et à se figurer
toujours que la satisfaction qu’ils n’ont point
leur arrivera si en surmontant quelques difficultés
qu’ils envisagent ils peuvent s’ouvrir par là
la porte au repos. Ainsi s’écoule toute la vie ;
on cherche le repos en combattant quelques obstacles et
si on les a surmontés le repos devient insupportable
par l’ennui qu’il engendre. Il en faut sortir
et mendier le tumulte. Car ou l’on pense aux misères
qu’on a ou à celles qui nous menacent. Et quand
on se verrait même assez à l’abri de toutes
parts l’ennui de son autorité privée
ne laisserait pas de sortir du fond du coeur où il
a des racines naturelles, et de remplir l’esprit de
son venin. B. Ainsi l’homme est si malheureux qu’il
s’ennuierait même sans aucune cause d’ennui
par l’état propre de sa complexion. Et il est
si vain qu’étant plein de mille causes essentielles
d’ennui la moindre chose comme un billard et une balle
qu’il pousse, suffisent pour le divertir. Mais direz-vous
quel objet a (-t-) il en tout cela ? Celui de se vanter
demain entre ses amis de ce qu’il a mieux joué
qu’un autre. Ainsi les autres suent dans leur cabinet
pour montrer aux savants qu’ils ont résolu une
question d’algèbre qu’on n’aurait
pu trouver jusqu’ici, et tant d’autres s’exposent
aux derniers périls pour se vanter ensuite d’une
place qu’ils auront prise aussi sottement à
mon gré. Et enfin les autres se tuent pour remarquer
toutes ces choses, non pas pour en devenir plus sages, mais
seulement pour montrer qu’ils les savent, et ceux-là
sont les plus sots de la bande puisqu’ils le sont avec
connaissance, au lieu qu’on peut penser des autres
qu’ils ne le seraient plus s’ils avaient cette
connaissance. Tel homme passe sa vie sans ennui en jouant
tous les jours peu de chose. Donnez-lui tous les matins
l’argent qu’il peut gagner chaque jour, à
la charge qu’il ne joue point, vous le rendez malheureux.
On dira peut-être que c’est qu’il recherche
l’amusement du jeu et non pas le gain. Faites-le donc
jouer pour rien, il ne s’y échauffera pas et
s’y ennuiera. Ce n’est donc pas l’amusement
seul qu’il recherche. Un amusement languissant et sans
passion l’ennuiera. Il faut qu’il s’y échauffe,
et qu’il se pipe lui-même en s’imaginant
qu’il serait heureux de gagner ce qu’il ne voudrait
pas qu’on lui donnât à condition de ne
point jouer, afin qu’il se forme un sujet de passion
et qu’il excite sur cela son désir sa colère,
sa crainte pour cet objet qu’il s’est formé
comme les enfants qui s’effrayent du visage qu’ils
ont barbouillé. D’où vient que cet homme
qui a perdu depuis peu de mois son fils unique et qui accablé
de procès et de querelles était ce matin si
troublé, n’y pense plus maintenant. Ne vous
en étonnez pas, il est tout occupé à
voir par où passera ce sanglier que ses chiens poursuivent
avec tant d’ardeur depuis six heures. Il n’en
faut pas davantage. L’homme quelque plein de tristesse
qu’il soit, si on peut gagner sur lui de le faire entrer
en quelque divertissement le voilà heureux pendant
ce temps-là, et l’homme quelqu’heureux
qu’il soit s’il n’est diverti et occupé
par quelque passion ou quelque amusement, qui empêche
l’ennui de se répandre, sera bientôt chagrin
et malheureux. Sans divertissement il n’y a point de
joie ; avec le divertissement il n’y a point de
tristesse. Et c’est aussi ce qui forme le bonheur des
personnes. D de grande condition qu’ils ont un nombre
de personnes qui les divertissent et qu’ils ont le
pouvoir de se maintenir en cet état. Prenez-y garde,
qu’est-ce autre chose d’être surintendant,
chancelier, premier président sinon d’être
en une condition où l’on a le matin un grand
nombre de gens qui viennent de tous côtés pour
ne leur laisser pas une heure en la journée où
ils puissent penser à eux-mêmes, et quand ils
sont dans la disgrâce, et qu’on les renvoie à
leurs maisons des champs où ils ne manquent ni de
biens ni de domestiques pour les assister dans leur besoin
ils ne laissent pas d’être misérables
et abandonnés parce que personne ne les empêche
de songer à eux.
137.
divertissement. La dignité royale n’est-elle
pas assez grande d’elle-même pour celui qui la
possède pour le rendre heureux par la seule vue de
ce qu’il est ; faudra (-t-) il le divertir de
cette pensée comme les gens du commun ? Je vois
bien que c’est rendre un homme heureux de le divertir
de la vue de ses misères domestiques pour remplir
toute sa pensée du soin de bien danser, mais en sera
(-t-) il de même d’un roi et sera (-t-) il plus
heureux en s’attachant à ces vains amusements
qu’à la vue de sa grandeur. Et quel objet plus
satisfaisant pourrait-on donner à son esprit ?
Ne serait-ce donc pas faire tort à sa joie d’occuper
son âme à penser à ajuster ses pas à
la cadence d’un air ou à placer adroitement
une barre, au lieu de le laisser jouir en repos, de la contemplation
de la gloire majestueuse qui l’environne. Qu’on
en fasse les preuves, qu’on laisse un roi tout seul
sans aucune satisfaction des sens, sans aucun soin dans
l’esprit, sans compagnies et sans divertissements,
penser à lui tout à loisir, et l’on verra
qu’un roi sans divertissement est un homme plein de
misères. Aussi on évite cela soigneusement
et il ne manque jamais d’y avoir auprès des
personnes des rois un grand nombre de gens qui veillent
à faire succéder le divertissement à
leurs affaires et qui observent tout le temps de leur loisir
pour leur fournir des plaisirs et des jeux en sorte qu’il
n’y ait point de vide. C’est-à-dire qu’ils
sont environnés de personnes qui ont un soin merveilleux
de prendre garde que le roi ne soit seul et en état
de penser à soi, sachant bien qu’il sera misérable,
tout roi qu’il est, s’il y pense. Je ne parle
point en tout cela des rois chrétiens comme chrétiens,
mais seulement comme rois.
138.
divertissement. La mort est plus aisée à
supporter sans y penser que la pensée de mort sans
péril.
139.
divertissement. On charge les hommes dès l’enfance
du soin de leur honneur, de leur bien, de leurs amis, et
encore du bien et de l’honneur de leurs amis, on les
accable d’affaires de l’apprentissage des langues
et d’exercices, et on leur fait entendre qu’ils
ne sauraient être heureux, sans que leur santé,
leur honneur, leur fortune, et celles de leurs amis soient
en bon état, et qu’une seule chose qui manque
les rendra malheureux. Ainsi on leur donne des charges et
des affaires qui les font tracasser dès la pointe
du jour. Voilà direz-vous une étrange manière
de les rendre heureux ; que pourrait-on faire de mieux
pour les rendre malheureux ? Comment, ce qu’on
pourrait faire : il ne faudrait que leur ôter
tous ces soucis, car alors ils se verraient, ils penseraient
à ce qu’ils sont, d’où ils viennent,
où ils vont, et ainsi on ne peut trop les occuper
et les détourner. Et c’est pourquoi, après
leur avoir tant préparé d’affaires, s’ils
ont quelque temps de relâche, on leur conseille de
l’employer à se divertir, et jouer, et s’occuper
toujours tout entiers. Que le coeur de l’homme est
creux et plein d’ordure.
IX.
PHILOSOPHES
140.
Quand Epictète aurait vu parfaitement bien le
chemin, il dit aux hommes : vous en suivez un faux.
Il montre que c’en est un autre, mais il n’y mène
pas. C’est celui de vouloir ce que Dieu veut. J.-C.
seul y mène. Les vices de Zénon même.
141.
philosophes. La belle chose de crier à un homme
qui ne se connaît pas, qu’il aille de lui-même
à Dieu. Et la belle chose de le dire à un
homme qui se connaît.
142.
Philosophes. Ils croient que Dieu est seul digne d’être
aimé et d’être admiré, et ont désiré
d’être aimés et admirés des hommes,
et ils ne connaissent pas leur corruption. S’ils se
sentent pleins de sentiments pour l’aimer et l’adorer,
et qu’ils y trouvent leur joie principale, qu’ils
s’estiment bons, à la bonne heure ! Mais
s’ils s’y trouvent répugnants s’(ils)
n’(ont) aucune pente qu’à se vouloir établir
dans l’estime des hommes, et que, pour toute perfection,
ils fassent seulement que, sans forcer les hommes, ils leur
fassent trouver leur bonheur à les aimer, je dirai
que cette perfection est horrible. Quoi, ils ont connu Dieu
et n’ont pas désiré uniquement que les
hommes l’aimassent, que les hommes s’arrêtassent
à eux. Ils ont voulu être l’objet du bonheur
volontaire des hommes.
143.
philosophes. Nous sommes pleins de choses qui nous jettent
au dehors. Notre instinct nous fait sentir qu’il faut
chercher notre bonheur hors de nous. Nos passions nous poussent
au dehors, quand même les objets ne s’offriraient
pas pour les exciter. Les objets du dehors nous tentent
d’eux-mêmes et nous appellent quand même
nous n’y pensons pas. Et ainsi les philosophes ont
beau dire : rentrez-vous en vous-mêmes, vous
y trouverez votre bien ; on ne les croit pas et ceux
qui les croient sont les plus vides et les plus sots.
144.
ce que les stoïques proposent est si difficile
et si vain. Les stoïques posent : tous ceux qui
ne sont point au haut degré de sagesse sont également
fous, et vicieux, comme ceux qui sont à deux doigts
dans l’eau.
145.
les 3 concupiscences ont fait trois sectes et les philosophes
n’ont fait autre chose que suivre une des trois concupiscences.
146.
stoïques. Ils concluent qu’on peut toujours
ce qu’on peut quelquefois et que puisque le désir
de la gloire fait bien faire à ceux qu’il possède
quelque chose, les autres le pourront bien aussi. Ce sont
des mouvements fiévreux que la santé ne peut
imiter. Epictète conclut de ce qu’il y a des
chrétiens constants que chacun le peut bien être.
X.
LE SOUVERAIN BIEN
147.
Le souverain bien. Dispute du souverain bien. (...).
Il y a contradiction, car ils conseillent enfin de se tuer.
Oh ! Quelle vie heureuse dont on se délivre
comme de la peste !
148.
seconde partie. Que l’homme sans la foi ne peut
connaître le vrai bien, ni la justice. Tous les hommes
recherchent d’être heureux. Cela est sans exception,
quelques différents moyens qu’ils y emploient.
Ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns
vont à la guerre et que les autres n’y vont
pas est ce même désir qui est dans tous les
deux accompagné de différentes vues. La volonté
fait jamais la moindre démarche que vers cet objet.
C’est le motif de toutes les actions de tous les hommes,
jusqu’à ceux qui vont se pendre. Et cependant
depuis un si grand nombre d’années jamais personne,
sans la foi, n’est arrivé à ce point
où tous visent continuellement. Tous se plaignent,
princes, sujets, nobles, roturiers, vieux, jeunes, forts,
faibles, savants, ignorants, sains, malades de tous pays,
de tous les temps, de tous âges, et de toutes conditions.
Une épreuve si longue si continuelle et si uniforme
devrait bien nous convaincre de notre impuissance d’arriver
au bien par nos efforts. Mais l’exemple nous instruit
peu. Il n’est jamais si parfaitement semblable qu’il
n’y ait quelque délicate différence et
c’est de là que nous attendons que notre attente
ne sera pas déçue en cette occasion comme
en l’autre, et ainsi le présent ne nous satisfaisant
jamais, l’expérience nous pipe, et de malheur
en malheur nous mène jusqu’à la mort
qui en est un comble éternel. Qu’est-ce donc
que nous crie cette avidité et cette impuissance
sinon qu’il y a eu autrefois dans l’homme un véritable
bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et
la trace toute vide et qu’il essaye inutilement de
remplir de tout ce qui l’environne, recherchant des
choses absentes le secours qu’il n’obtient pas
des présentes, mais qui en sont toutes incapables
parce que ce gouffre infini ne peut être rempli que
par un objet infini et immuable, c’est-à-dire
que par Dieu même. Lui seul est son véritable
bien. Et depuis qu’il l’a quitté c’est
une chose étrange qu’il n’y a rien dans
la nature qui n’ait été capable de lui
en tenir la place, astres, ciel, terre, éléments,
plantes, choux, poireaux, animaux, insectes, veaux, serpents,
fièvre, peste, guerre, famine, vices, adultère,
inceste. Et depuis qu’il a perdu le vrai bien tout
également peut lui paraître tel jusqu’à
sa destruction propre, quoique si contraire à Dieu,
à la raison et à la nature tout ensemble.
Les uns le cherchent dans l’autorité, les autres
dans les curiosités et dans les sciences, les autres
dans les voluptés. D’autres qui en ont en effet
plus approché ont considéré que il
est nécessaire que ce bien universel que tous les
hommes désirent ne soit dans aucune des choses particulières
qui ne peuvent être possédées que par
un seul et qui étant partagées affligent plus
leurs possesseurs par le manque de la partie qu’ils
n’ont pas, qu’elles ne les contentent par la jouissance
de celle qui lui appartient. Ils ont compris que le vrai
bien devait être tel que tous pussent le posséder
à la fois sans diminution et sans envie, et que personne
ne le pût perdre contre son gré, et leur raison
est que ce désir étant naturel à l’homme
puisqu’il est nécessairement dans tous et qu’il
ne peut pas ne le pas avoir, ils en concluent...
XI.
A.P.R.
149.
A. P. R. Commencement, après avoir expliqué
l’incompréhensibilité. Les grandeurs
et les misères de l’homme sont tellement visibles
qu’il faut nécessairement que la véritable
religion nous enseigne et qu’il y a quelque grand principe
de grandeur en l’homme et qu’il y a un grand principe
de misère. Il faut encore qu’elle nous rende
raison de ces étonnantes contrariétés.
Il faut que pour rendre l’homme heureux elle lui montre
qu’il y a un Dieu, qu’on est obligé de
l’aimer, que notre vraie félicité est
d’être en lui, et notre unique mal d’être
séparé de lui, qu’elle reconnaisse que
nous sommes pleins de ténèbres qui nous empêchent
de le connaître et de l’aimer, et qu’ainsi
nos devoirs nous obligeant d’aimer Dieu et nos concupiscences
nous en détournant nous sommes pleins d’injustice.
Il faut qu’elle nous rende raison de ces oppositions
que nous avons à Dieu et à notre propre bien.
Il faut qu’elle nous enseigne les remèdes à
ces impuissances et les moyens d’obtenir ces remèdes.
Qu’on examine sur cela toutes les religions du monde
et qu’on voie s’il y en a une autre que la chrétienne
qui y satisfasse. Sera-ce les philosophes qui nous proposent
pour tout bien les biens qui sont en nous ? Ont-ils
trouvé le remède à nos maux ?
Est-ce avoir guéri la présomption de l’homme
que de l’avoir mis à l’égal de Dieu ?
Ceux qui nous ont égalé aux bêtes et
les mahométans qui nous ont donné les plaisirs
de la terre pour tout bien, même dans l’éternité,
ont-ils apporté le remède à nos concupiscences ?
Quelle religion nous enseignera donc à guérir
l’orgueil, et la concupiscence ? Quelle religion
enfin nous enseignera notre bien, nos devoirs, les faiblesses
qui nous en détournent, la cause de ces faiblesses,
les remèdes qui les peuvent guérir, et le
moyen d’obtenir ces remèdes. Toutes les autres
religions ne l’ont pu. Voyons ce que fera la sagesse
de Dieu. N’attendez point, dit-elle, ô hommes,
ni vérité, ni consolation des hommes. Je suis
celle qui vous ai formés et qui puis seule vous apprendre
qui vous êtes. Mais, vous n’êtes plus maintenant
en l’état où je vous ai formés.
J’ai créé l’homme saint, innocent,
parfait ; je l’ai rempli de lumière et
d’intelligence, je lui ai communiqué ma gloire
et mes merveilles. L’oeil de l’homme voyait alors
la majesté de Dieu. Il n’était pas alors
dans les ténèbres qui l’aveuglent, ni
dans la mortalité et dans les misères qui
l’affligent. Mais il n’a pu soutenir tant de gloire
sans tomber dans la présomption. Il a voulu se rendre
centre de lui-même et indépendant de mon secours.
Il s’est soustrait de ma domination et s’égalant
à moi par le désir de trouver sa félicité
en lui-même je l’ai abandonné à
lui, et révoltant les créatures qui lui étaient
soumises, je les lui ai rendues ennemies, en sorte qu’aujourd’hui
l’homme est devenu semblable aux bêtes, et dans
un tel éloignement de moi qu’à peine
lui reste (-t-) il une lumière confuse de son auteur
tant toutes ses connaissances ont été éteintes
ou troublées. Les sens indépendants de la
raison et souvent maîtres de la raison l’ont
emporté à la recherche des plaisirs. Toutes
les créatures ou l’affligent ou le tentent,
et dominent sur lui ou en le soumettant par leur force ou
en le charmant par leur douceur, ce qui est une domination
plus terrible et plus injurieuse. Voilà l’état
où les hommes sont aujourd’hui. Il leur reste
quelque instinct impuissant du bonheur de leur première
nature, et ils sont plongés dans les misères
de leur aveuglement et de leur concupiscence qui est devenue
leur seconde nature. De ce principe que je vous ouvre vous
pouvez reconnaître la cause de tant de contrariétés
qui ont étonné tous les hommes et qui les
ont partagés en de si divers sentiments. Observez
maintenant tous les mouvements de grandeur et de gloire
que l’épreuve de tant de misères ne peut
étouffer et voyez s’il ne faut pas que la cause
en soit en une autre nature. A. P. R. Pour demain. Prosopopée.
C’est en vain, ô hommes, que vous cherchez dans
vous-même les remèdes à vos misères.
Toutes vos lumières ne peuvent arriver qu’à
connaître que ce n’est point dans vous-même
que vous trouverez ni la vérité ni le bien.
Les philosophes vous l’ont promis et ils n’ont
pu le faire. Ils ne savent ni quel est votre véritable
bien, ni quel est (...). Comment auraient-ils donné
des remèdes à vos maux qu’ils n’ont
pas seulement connus. Vos maladies principales sont l’orgueil
qui vous soustrait de Dieu, la concupiscence qui vous attache
à la terre. (...), et ils n’ont fait autre chose
qu’entretenir au moins l’une de ces maladies.
S’ils vous ont donné Dieu pour objet ce n’a
été que pour exercer votre superbe ;
ils vous ont fait penser que vous lui étiez semblables
et conformes par votre nature. Et ceux qui ont vu la vanité
de cette prétention vous ont jeté dans l’autre
précipice en vous faisant entendre que votre nature
était pareille à celle des bêtes et
vous ont porté à chercher votre bien dans
les concupiscences qui sont le partage des animaux. Ce n’est
pas là le moyen de vous guérir de vos injustices
que ces sages n’ont point connues. Je puis seule vous
faire entendre qui vous êtes, ce... Adam, J.-C. Si
on vous unit à Dieu c’est par grâce, non
par nature. Si on vous abaisse c’est par pénitence,
non par nature. Ainsi cette double capacité. Vous
n’êtes pas dans l’état de votre création.
Ces deux états étant ouverts il est impossible
que vous ne les reconnaissiez pas. Suivez vos mouvements.
Observez-vous vous-même et voyez si vous n’y
trouverez pas les caractères vivants de ces deux
natures. Tant de contradictions se trouveraient-elles dans
un sujet simple ? Incompréhensible. Tout ce
qui est incompréhensible ne laisse pas d’être.
Le nombre infini, un espace infini égal au fini.
Incroyable que Dieu s’unisse à nous. Cette considération
n’est tirée que de la vue de notre bassesse,
mais si vous l’avez bien sincère, suivez-la
aussi loin que moi et reconnaissez que nous sommes en effet
si bas que nous sommes par nous-mêmes incapables de
connaître si sa miséricorde ne peut pas nous
rendre capables de lui. Car je voudrais savoir d’où
cet animal qui se reconnaît si faible a le droit de
mesurer la miséricorde de Dieu et d’y mettre
les bornes que sa fantaisie lui suggère. Il sait
si peu ce que c’est que Dieu qu’il ne sait pas
ce qu’il est lui-même. Et tout troublé
de la vue de son propre état il ose dire que Dieu
ne le peut pas rendre capable de sa communication. Mais
je voudrais lui demander si Dieu demande autre chose de
lui sinon qu’il l’aime et le connaisse, et pourquoi
il croit que Dieu ne peut se rendre connaissable et aimable
à lui puisqu’il est naturellement capable d’amour
et de connaissance, il est sans doute qu’il connaît
au moins qu’il est et qu’il aime quelques choses.
Donc s’il voit quelque chose dans les ténèbres
où il est et s’il trouve quelque sujet d’amour
parmi les choses de la terre, pourquoi si Dieu lui découvre
quelque rayon de son essence, ne sera (-t-) il pas capable
de le connaître et de l’aimer en la manière
qu’il lui plaira se communiquer à nous. Il y
a donc sans doute une présomption insupportable dans
ces sortes de raisonnements, quoiqu’ils paraissent
fondés sur une humilité apparente, qui n’est
ni sincère, ni raisonnable si elle ne nous fait confesser
que ne sachant de nous-mêmes qui nous sommes nous
ne pouvons l’apprendre que de Dieu. Je n’entends
pas que vous soumettiez votre créance à moi
sans raison, et ne prétends pas vous assujettir avec
tyrannie. Je ne prétends pas aussi vous rendre raison
de toutes choses. Et pour accorder ces contrariétés
j’entends vous faire voir clairement par des preuves
convaincantes des marques divines en moi qui vous convainquent
de ce que je suis et m’attirer autorité par
des merveilles et des preuves que vous ne puissiez refuser
et qu’ensuite vous croyiez les choses que je vous enseigne
quand vous n’y trouverez autre sujet de les refuser,
sinon que vous ne pouvez par vous-même connaître
si elles sont ou non. Dieu a voulu racheter les hommes et
ouvrir le salut à ceux qui le chercheraient, mais
les hommes s’en rendent si indignes qu’il est
juste que Dieu refuse à quelques-uns, à cause
de leur endurcissement, ce qu’il accorde aux autres
par une miséricorde qui ne leur est pas due. S’il
eût voulu surmonter l’obstination des plus endurcis,
il l’eût pu, en se découvrant si manifestement
à eux qu’ils n’eussent pu douter de la
vérité de son essence comme il paraîtra
au dernier jour avec un tel éclat de foudres et un
tel renversement de la nature que les morts ressusciteront
et les plus aveugles le verront. Ce n’est pas en cette
sorte qu’il a voulu paraître dans son avènement
de douceur, parce que tant d’hommes se rendant indignes
de sa clémence il a voulu les laisser dans la privation
du bien qu’ils ne veulent pas. Il n’était
donc pas juste qu’il parût d’une manière
manifestement divine et absolument capable de convaincre
tous les hommes, mais il n’était pas juste aussi
qu’il vînt d’une manière si cachée
qu’il ne pût être reconnu de ceux qui le
chercheraient sincèrement. Il a voulu se rendre parfaitement
connaissable à ceux-là, et ainsi voulant paraître
à découvert à ceux qui le cherchent
de tout leur coeur, et caché à ceux qui le
fuient de tout leur coeur il a tempéré. A.
P. R. Pour demain. 2. Tempéré sa connaissance,
en sorte qu’il a donné des marques de soi visibles
à ceux qui le cherchent et non à ceux qui
ne le cherchent pas. Il y a assez de lumière pour
ceux qui ne désirent que de voir, et assez d’obscurité
pour ceux qui ont une disposition contraire.
XII.
COMMENCEMENT
150.
Les impies qui font profession de suivre la raison doivent
être étrangement forts en raison. Que disent-ils
donc ? Ne voyons-nous pas, disent-ils, mourir et vivre
les bêtes comme les hommes, et les turcs comme les
chrétiens ; ils ont leurs cérémonies,
leurs prophètes, leurs docteurs, leurs saints, leurs
religieux comme nous, etc. Cela est-il contraire à
l’Ecriture ? Ne dit-elle pas tout cela ?
Si vous ne vous souciez guère de savoir la vérité,
en voilà assez pour vous laisser en repos. Mais si
vous désirez de tout votre coeur de la connaître
ce n’est pas assez regardé au détail.
C’en serait assez pour une question de philosophie,
mais ici où il va de tout... et cependant après
une réflexion légère de cette sorte
on s’amusera etc. Qu’on s’informe de cette
religion, même si elle ne rend pas raison de cette
obscurité peut-être qu’elle nous l’apprendra.
151.
nous sommes plaisants de nous reposer dans la société
de nos semblables, misérables comme nous, impuissants
comme nous ; ils ne nous aideront pas : on mourra
seul. Il faut donc faire comme si on était seul.
Et alors bâtirait-on des maisons superbes etc. On
chercherait la vérité sans hésiter.
Et si on le refuse on témoigne estimer plus l’estime
des hommes que la recherche de la vérité.
152.
entre nous et l’enfer ou le ciel il n’y a
que la vie entre-deux qui est la chose du monde la plus
fragile.
153.
que me promettez-vous enfin ? Car dix ans est le
parti, sinon dix ans d’amour-propre, à bien
essayer de plaire sans y réussir, outre les peines
certaines ?
154.
partis. Il faut vivre autrement dans le monde, selon
ces diverses suppositions. 1. Si on pourrait y être
toujours. 5. S’il est sûr qu’on n’y
sera pas longtemps, et incertain si on y sera une heure.
Cette dernière supposition est la nôtre.
155.
coeur instinct principes.
156.
plaindre les athées qui cherchent, car ne sont-ils
pas assez malheureux. Invectiver contre ceux qui en font
vanité.
157.
athéisme marque de force d’esprit, mais
jusqu’à un certain degré seulement.
158.
pour les partis vous devez vous mettre en peine de rechercher
la vérité, car si vous mourrez sans adorer
le vrai principe vous êtes perdu. Mais dites-vous,
s’il avait voulu que je l’adorasse il m’aurait
laissé des signes de sa volonté. Aussi a (-t-)
il fait, mais vous les négligez. Cherchez les donc ;
cela le vaut bien.
159.
si on doit donner huit jours de la vie on doit donner
cent ans.
160.
il n’y a que trois sortes de personnes : les
uns qui servent Dieu l’ayant trouvé, les autres
qui s’emploient à le chercher ne l’ayant
pas trouvé, les autres qui vivent sans le chercher
ni l’avoir trouvé. Les premiers sont raisonnables
et heureux, les derniers sont fous et malheureux. Ceux du
milieu sont malheureux et raisonnables.
161.
les athées doivent dire des choses parfaitement
claires. Or il n’est point parfaitement clair que l’âme
soit matérielle.
162.
commencer par plaindre les incrédules, ils sont
assez malheureux par leur condition. Il ne les faudrait
injurier qu’au cas que cela servît, mais cela
leur nuit.
163.
un homme dans un cachot, ne sachant pas si son arrêt
est donné, n’ayant plus qu’une heure pour
l’apprendre, cette heure suffisant s’il sait qu’il
est donné pour le faire révoquer. Il est contre
nature qu’il emploie cette heure là, non à
s’informer si l’arrêt est donné,
mais à jouer au piquet. Ainsi il est surnaturel que
l’homme etc. C’est un appesantissement de la main
de Dieu. Ainsi non seulement le zèle de ceux qui
le cherchent prouve Dieu, mais l’aveuglement de ceux
qui ne le cherchent pas.
164.
commencement. Cachot. Je trouve bon qu’on n’approfondisse
pas l’opinion de Copernic. Mais ceci : il importe
à toute la vie de savoir si l’âme est
mortelle ou immortelle.
165.
le dernier acte est sanglant quelque belle que soit
la comédie en tout le reste. On jette enfin de la
terre sur la tête et en voilà pour jamais.
166.
nous courons sans souci dans le précipice après
que nous avons mis quelque chose devant nous pour nous empêcher
de le voir.
XIII.
SOUMISSION ET USAGE DE LA RAISON
167.
Soumission et usage de la raison : en quoi consiste
le vrai christianisme.
168.
que je hais ces sottises de ne pas croire l’eucharistie
etc. Si l’évangile est vrai, si J.-C. est Dieu,
quelle difficulté y a (-t-) il là.
169.
je ne serais pas chrétien sans les miracles,
dit Saint Augustin.
170.
soumission. Il faut savoir douter où il faut,
assurer où il faut, en se soumettant où il
faut. Qui ne fait ainsi n’entend pas la force de la
raison. Il y (en) a qui faillent contre ces trois principes,
ou en assurant tout comme démonstratif, manque de
se connaître en démonstration, ou en doutant
de tout, manque de savoir où il faut se soumettre,
ou en se soumettant en tout, manque de savoir où
il faut juger. Pyrrhonien, géomètre, chrétien :
doute, assurance, soumission.
172.
la conduite de Dieu, qui dispose toutes choses avec
douceur, est de mettre la religion dans l’esprit par
les raisons et dans le coeur par la grâce, mais de
la vouloir mettre dans l’esprit et dans le coeur par
la force et par les menaces, ce n’est pas y mettre
la religion mais la terreur.
173.
si on soumet tout à la raison notre religion
n’aura rien de mystérieux et de surnaturel.
Si on choque les principes de la raison notre religion sera
absurde et ridicule.
174.
St Augustin. La raison ne se soumettrait jamais si elle
ne jugeait qu’il y a des occasions où elle se
doit soumettre. Il est donc juste qu’elle se soumette
quand elle juge qu’elle se doit soumettre.
175.
ce sera une des confusions des damnés de voir
qu’ils seront condamnés par leur propre raison
par laquelle ils ont prétendu condamner la religion
chrétienne.
176.
ceux qui n’aiment pas la vérité prennent
le prétexte de la contestation et de la multitude
de ceux qui la nient, et ainsi leur erreur ne vient que
de ce qu’ils n’aiment pas la vérité
ou la charité. Et ainsi ils ne s’en sont pas
excusés.
177.
contradiction est une mauvaise marque de vérité.
Plusieurs choses certaines sont contredites. Plusieurs fausses
passent sans contradiction. Ni la contradiction n’est
marque de fausseté ni l’incontradiction n’est
marque de vérité.
178.
voyez les deux sortes d’hommes dans le titre :
perpétuité.
179.
il y a peu de vrais chrétiens. Je dis même
pour la foi. Il y en a bien qui croient mais par superstition.
Il y en a bien qui ne croient pas, mais par libertinage ;
peu sont entre-deux. Je ne comprends pas en cela ceux qui
sont dans la véritable piété de moeurs
et tous ceux qui croient par un sentiment du coeur.
180.
J.-C. a fait des miracles et les apôtres ensuite.
Et les premiers saints en grand nombre, parce que les prophéties
n’étant pas encore accomplies, et s’accomplissant
par eux, rien ne témoignait que les miracles. Il
était prédit que le messie convertirait les
nations. Comment cette prophétie se fût-elle
accomplie sans la conversion des nations, et comment les
nations se fussent-elles converties, au messie, ne voyant
pas ce dernier effet des prophéties qui le prouvent.
Avant donc qu’il ait été mort, ressuscité
et converti les nations tout n’était pas accompli
et ainsi il a fallu des miracles pendant tout ce temps.
Maintenant il n’en faut plus contre les juifs, car
les prophéties accomplies sont un miracle subsistant.
181.
la piété est différente de la superstition.
Soutenir la piété jusqu’à la superstition
c’est la détruire. Les hérétiques
nous reprochent cette soumission superstitieuse ; c’est
faire ce qu’ils nous reprochent. Impiété
de ne pas croire l’eucharistie sur ce qu’on ne
la voit pas. Superstition de croire des propositions etc.
Foi etc.
182.
il n’y a rien de si conforme à la raison
que ce désaveu de la raison.
183.
2 excès exclure la raison, n’admettre que
la raison.
184.
on n’aurait point péché en ne croyant
pas J.-C. sans les miracles.
185.
la foi dit bien ce que les sens ne disent pas, mais
non pas le contraire de ce qu’ils voient ; elle
est au dessus, et non pas contre.
186.
vous abusez de la créance que le peuple a en
l’Eglise et leur faites accroire.
187.
ce n’est pas une chose rare qu’il faille reprendre
le monde de trop de docilité. C’est un vice
naturel comme l’incrédulité et aussi
pernicieux. Superstition.
188.
la dernière démarche de la raison est
de reconnaître qu’il y a une infinité
de choses qui la surpassent. Elle n’est que faible
si elle ne va jusqu’à connaître cela.
Que si les choses naturelles la surpassent, que dira (-t-)
on des surnaturelles ?
XIV.
EXCELLENCE
189.
Dieu par J.-C. Nous ne connaissons Dieu que par J.-C.
Sans ce médiateur est ôtée toute communication
avec Dieu. Par J.-C. nous connaissons Dieu. Tous ceux qui
ont prétendu connaître Dieu et le prouver sans
J.-C. n’avaient que des preuves impuissantes. Mais
pour prouver J.-C. nous avons les prophéties qui
sont des preuves solides et palpables. Et ces prophéties
étant accomplies et prouvées véritables
par l’événement marquent la certitude
de ces vérités et partant la preuve de la
divinité de J.-C. En lui et par lui nous connaissons
donc Dieu. Hors de là et sans l’écriture,
sans le péché originel, sans médiateur
nécessaire, promis et arrivé, on ne peut prouver
absolument Dieu, ni enseigner ni bonne doctrine, ni bonne
morale. Mais par J.-C. et en J.-C. on prouve Dieu et on
enseigne la morale et la doctrine. J.-C. est donc le véritable
Dieu des hommes. Mais nous connaissons en même temps
notre misère, car ce Dieu là n’est autre
chose que le réparateur de notre misère. Ainsi
nous ne pouvons bien connaître Dieu qu’en connaissant
nos iniquités. Aussi ceux qui ont connu Dieu sans
connaître leur misère ne l’ont pas glorifié,
mais s’en sont glorifiés.
190.
préface. Les preuves de Dieu métaphysiques
sont si éloignées du raisonnement des hommes
et si impliquées, qu’elles frappent peu et quand
cela servirait à quelques-uns, cela ne servirait
que pendant l’instant qu’ils voient cette démonstration,
mais une heure après ils craignent de s’être
trompés. C’est ce que produit la connaissance
de Dieu qui se tire sans J.-C. qui est de communiquer sans
médiateur, avec le Dieu qu’on a connu sans médiateur.
Au lieu que ceux qui ont connu Dieu par médiateur
connaissent leur misère.
191.
il est non seulement impossible mais inutile de connaître
Dieu sans J.-C. Ils ne s’en sont pas éloignés
mais approchés ; ils ne se sont pas abaissés
mais...
192.
la connaissance de Dieu sans celle de sa misère
fait l’orgueil. La connaissance de sa misère
sans celle de Dieu fait le désespoir. La connaissance
de J.-C. fait le milieu parce que nous y trouvons, et Dieu
et notre misère.
XV.
TRANSITION
193.
La prévention induisant en erreur. C’est
une chose déplorable de voir tous les hommes ne délibérer
que des moyens et point de la fin. Chacun songe comment
il s’acquittera de sa condition, mais pour le choix
de la condition, et de la patrie le sort nous le donne.
C’est une chose pitoyable de voir tant de turcs, d’hérétiques,
d’infidèles, suivre le train de leurs pères,
par cette seule raison qu’ils ont été
prévenus chacun que c’est le meilleur et c’est
ce qui détermine chacun à chaque condition
de serrurier, soldat etc. C’est par là que les
sauvages n’ont que faire de la Provence.
194.
pourquoi ma connaissance est-elle bornée, ma
taille, ma durée à 100 ans plutôt qu’à
1000 ? Quelle raison a eu la nature de me la donner
telle et de choisir ce milieu plutôt qu’un autre
dans l’infinité, desquels il n’y a pas
plus de raison de choisir l’un que l’autre, rien
ne tentant plus que l’autre ?
198.
en voyant l’aveuglement et la misère de
l’homme, en regardant tout l’univers muet et l’homme
sans lumière abandonné à lui-même,
et comme égaré dans ce recoin de l’univers
sans savoir qui l’y a mis, ce qu’il y est venu
faire, ce qu’il deviendra en mourant, incapable de
toute connaissance, j’entre en effroi comme un homme
qu’on aurait porté endormi dans une île
déserte et effroyable, et qui s’éveillerait
sans connaître et sans moyen d’en sortir. Et
sur cela j’admire comment on n’entre point en
désespoir d’un si misérable état.
Je vois d’autres personnes auprès de moi d’une
semblable nature. Je leur demande s’ils sont mieux
instruits que moi. Ils me disent que non et sur cela ces
misérables égarés, ayant regardé
autour d’eux et ayant vu quelques objets plaisants
s’y sont donnés et s’y sont attachés.
Pour moi je n’ai pu y prendre d’attache et considérant
combien il y a plus d’apparence qu’il y a autre
chose que ce que je vois j’ai recherché si ce
Dieu n’aurait point laissé quelque marque de
soi. Je vois plusieurs religions contraires et partant toutes
fausses, excepté une. Chacune veut être crue
par sa propre autorité et menace les incrédules.
Je ne les crois donc pas là dessus. Chacun peut dire
cela. Chacun peut se dire prophète mais je vois la
chrétienne et je trouve des prophéties, et
c’est ce que chacun ne peut pas faire.
199.
disproportion de l’homme. Que l’homme contemple
donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté,
qu’il éloigne la vue des objets bas qui l’environnent.
Qu’il regarde cette éclatante lumière
mise comme une lampe éternelle pour éclairer
l’univers, que la terre lui paraisse comme un point
au prix du vaste tour que cet astre décrit, et qu’il
s’étonne de ce que ce vaste tour lui-même
n’est qu’une pointe très délicate
à l’égard de celui que ces astres, qui
roulent dans le firmament, embrassent. Mais si notre vue
s’arrête là que l’imagination passe
outre, elle se lassera plutôt de concevoir que la
nature de fournir. Tout ce monde visible n’est qu’un
trait imperceptible dans l’ample sein de la nature.
Nulle idée n’en approche, nous avons beau enfler
nos conceptions au delà des espaces imaginables,
nous n’enfantons que des atomes au prix de la réalité
des choses. C’est une sphère infinie dont le
centre est partout, la circonférence nulle part.
Enfin c’est le plus grand caractère sensible
de la toute puissance de Dieu que notre imagination se perde
dans cette pensée. Que l’homme étant
revenu à soi considère ce qu’il est au
prix de ce qui est, qu’il se regarde comme égaré,
et que de ce petit cachot où il se trouve logé,
j’entends l’univers, il apprenne à estimer,
la terre, les royaumes, les villes, les maisons et soi-même,
son juste prix. Qu’est-ce qu’un homme, dans l’infini ?
Mais pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant,
qu’il recherche dans ce qu’il connaît les
choses les plus délicates, qu’un ciron lui offre
dans la petitesse de son corps des parties incomparablement
plus petites, des jambes avec des jointures, des veines
dans ses jambes, du sang dans ses veines, des humeurs dans
ce sang, des gouttes dans ses humeurs, des vapeurs dans
ces gouttes, que divisant encore ces dernières choses
il épuise ses forces en ces conceptions et que le
dernier objet où il peut arriver soit maintenant
celui de notre discours. Il pensera peut-être que
c’est là l’extrême petitesse de la
nature. Je veux lui faire voir là dedans un abîme
nouveau. Je lui veux peindre non seulement l’univers
visible, mais l’immensité qu’on peut concevoir
de la nature dans l’enceinte de ce raccourci d’atome,
qu’il y voie, une infinité d’univers, dont
chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en
la même proportion que le monde visible, dans cette
terre des animaux, et enfin des cirons. Dans lesquels il
retrouvera ce que les premiers ont donné, et trouvant
encore dans les autres la même chose sans fin et sans
repos, qu’il se perdra dans ces merveilles aussi étonnantes
dans leur petitesse, que les autres par leur étendue,
car qui n’admirera que notre corps, qui tantôt
n’était pas perceptible dans l’univers
imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit
à présent un colosse un monde ou plutôt
un tout à l’égard du néant où
l’on ne peut arriver. Qui se considèrera de
la sorte s’effraiera de soi-même et se considérant
soutenu dans la masse que la nature lui a donnée
entre ces deux abîmes de l’infini et du néant
il tremblera dans la vue de ces merveilles et je crois que
sa curiosité se changeant en admiration il sera plus
disposé à les contempler en silence qu’à
les rechercher avec présomption. Car enfin qu’est-ce
que l’homme dans la nature ? Un néant à
l’égard de l’infini, un tout à l’égard
du néant, un milieu entre rien et tout, infiniment
éloigné de comprendre les extrêmes ;
la fin des choses et leurs principes sont pour lui invinciblement
cachés dans un secret impénétrable.
Egalement incapable de voir le néant d’où
il est tiré et l’infini où il est englouti.
Que fera (-t-) il donc sinon d’apercevoir quelque apparence
du milieu des choses dans un désespoir éternel
de connaître ni leur principe ni leur fin. Toutes
choses sont sorties du néant et portées jusqu’à
l’infini. Qui suivra ces étonnantes démarches ?
L’auteur de ces merveilles les comprend. Tout autre
ne le peut faire. Manque d’avoir contemplé ces
infinis les hommes se sont portés témérairement
à la recherche de la nature comme s’ils avaient
quelque proportion avec elle. C’est une chose étrange
qu’ils ont voulu comprendre les principes des choses
et de là arriver jusqu’à connaître
tout, par une présomption aussi infinie que leur
objet. Car il est sans doute qu’on ne peut former ce
dessein sans une présomption ou sans une capacité
infinie, comme la nature. Quand on est instruit on comprend
que la nature ayant gravé son image et celle de son
auteur dans toutes choses elles tiennent presque toutes
de sa double infinité. C’est ainsi que nous
voyons que toutes les sciences sont infinies en l’étendue
de leurs recherches, car qui doute que la géométrie
par exemple a une infinité d’infinités
de propositions à exposer. Elles sont aussi infinies
dans la multitude et la délicatesse de leurs principes,
car qui ne voit que ceux qu’on propose pour les derniers
ne se soutiennent pas d’eux-mêmes et qu’ils
sont appuyés sur d’autres qui en ayant d’autres
pour appui ne souffrent jamais de dernier. Mais nous faisons
des derniers qui paraissent à la raison, comme on
fait dans les choses matérielles où nous appelons
un point indivisible, celui au delà duquel nos sens
n’aperçoivent plus rien, quoique divisible infiniment
et par sa nature. De ces deux infinis des sciences celui
de grandeur est bien plus sensible, et c’est pourquoi
il est arrivé à peu de personnes de prétendre
connaître toutes choses. Je vais parler de tout, disait
Démocrite. Mais l’infinité en petitesse
est bien moins visible. Les philosophes ont bien plutôt
prétendu d’y arriver, et c’est là
où tous ont achoppé. C’est ce qui a donné
lieu à ces titres si ordinaires, et aux semblables
aussi fastueux en effet, quoique moins en apparence que
cet autre qui crève les yeux : etc. On se croit
naturellement bien plus capable d’arriver au centre
des choses que d’embrasser leur circonférence,
et l’étendue visible du monde nous surpasse
visiblement. Mais comme c’est nous qui surpassons les
petites choses nous nous croyons plus capables de les posséder,
et cependant etc. Il ne faut pas moins de capacité
pour aller jusqu’au néant que jusqu’au
tout. Il la faut infinie pour l’un et l’autre,
et il me semble que qui aurait compris les derniers principes
des choses pourrait aussi arriver jusqu’à connaître
l’infini. L’un dépend de l’autre et
l’un conduit à l’autre. Ces extrémités
se touchent et se réunissent à force de s’être
éloignées et se retrouvent en Dieu, et en
Dieu seulement. Connaissons donc notre portée. Nous
sommes quelque chose et ne sommes pas tout. Ce que nous
avons d’être nous dérobe la connaissance
des premiers principes qui naissent du néant, et
le peu que nous avons d’être nous cache la vue
de l’infini. Notre intelligence tient dans l’ordre
des choses intelligibles le même rang que notre corps
dans l’étendue de la nature. Bornés en
tout genre, cet état qui tient le milieu entre deux
extrêmes se trouve en toutes nos puissances. Nos sens
n’aperçoivent rien d’extrême, trop
de bruit nous assourdit, trop de lumière éblouit,
trop de distance et trop de proximité empêche
la vue. Trop de longueur et trop de brièveté
de discours l’obscurcit, trop de vérité
nous étonne. J’en sais qui ne peuvent comprendre
que qui de zéro ôte 4 reste zéro. Les
premiers principes ont trop d’évidence pour
nous ; trop de plaisir incommode, trop de consonances
déplaisent dans la musique, et trop de bienfaits
irritent. Nous voulons avoir de quoi surpasser la dette.
Nous ne sentons ni l’extrême chaud, ni l’extrême
froid. Les qualités excessives nous sont ennemies
et non pas sensibles, nous ne les sentons plus, nous les
souffrons. Trop de jeunesse et trop de vieillesse empêche
l’esprit ; trop et trop peu d’instruction.
Enfin les choses extrêmes sont pour nous comme si
elles n’étaient point et nous ne sommes point
à leur égard ; elles nous échappent
ou nous à elles. Voilà notre état véritable.
C’est ce qui nous rend incapables de savoir certainement
et d’ignorer absolument. Nous voguons sur un milieu
vaste, toujours incertains et flottants, poussés
d’un bout vers l’autre ; quelque terme où
nous pensions nous attacher et nous affermir, il branle,
et nous quitte, et si nous le suivons il échappe
à nos prises, nous glisse et fuit d’une fuite
éternelle ; rien ne s’arrête pour
nous. C’est l’état qui nous est naturel
et toutefois le plus contraire à notre inclination.
Nous brûlons du désir de trouver une assiette
ferme, et une dernière base constante pour y édifier
une tour qui s’élève à (l’)infini,
mais tout notre fondement craque et la terre s’ouvre
jusqu’aux abîmes. Ne cherchons donc point d’assurance
et de fermeté ; notre raison est toujours déçue
par l’inconstance des apparences : rien ne peut
fixer le fini entre les deux infinis qui l’enferment
et le fuient. Cela étant bien compris je crois qu’on
se tiendra en repos, chacun dans l’état où
la nature l’a placé. Ce milieu qui nous est
échu en partage étant toujours distant des
extrêmes, qu’importe qu’un autre ait un
peu plus d’intelligence des choses s’il en a et
s’il les prend un peu de plus haut n’est-il pas
toujours infiniment éloigné du bout et la
durée de notre vie n’est-elle pas également
infime de l’éternité pour durer dix ans
davantage. Dans la vue de ces infinis tous les finis sont
égaux et je ne vois pas pourquoi asseoir son imagination
plutôt sur un que sur l’autre. La seule comparaison
que nous faisons de nous au fini nous fait peine. Si l’homme
s’étudiait il verrait combien il est incapable
de passer outre. Comment se pourrait-il qu’une partie
connût le tout ? Mais il aspirera peut-être
à connaître au moins les parties avec lesquelles
il a de la proportion. Mais les parties du monde ont toutes
un tel rapport et un tel enchaînement l’une avec
l’autre que je crois impossible de connaître
l’une sans l’autre et sans le tout. L’homme
par exemple a rapport à tout ce qu’il connaît.
Il a besoin de lieu pour le contenir, de temps pour durer,
de mouvement pour vivre, d’éléments pour
le composer de chaleur et d’aliments pour se nourrir,
d’air pour respirer. Il voit la lumière, il
sent les corps, enfin tout tombe sous son alliance. Il faut
donc pour connaître l’homme savoir d’où
vient qu’il a besoin d’air pour subsister et pour
connaître l’air, savoir par où il a ce
rapport à la vie de l’homme, etc. La flamme
ne subsiste point sans l’air ; donc pour connaître
l’un il faut connaître l’autre. Donc toutes
choses étant causées et causantes, aidées
et aidantes, médiates et immédiates et toutes
s’entretenant par un lien naturel et insensible qui
lie les plus éloignées et les plus différentes,
je tiens impossible de connaître les parties sans
connaître le tout, non plus que de connaître
le tout sans connaître particulièrement les
parties. Et ce qui achève notre impuissance à
connaître les choses est qu’elles sont simples
en elles-mêmes et que nous sommes composés
de deux natures opposées et de divers genres, d’âme
et de corps. Car il est impossible que la partie qui raisonne
en nous soit autre que spirituelle et quand on prétendrait
que nous serions simplement corporels cela nous exclurait
bien davantage de la connaissance des choses, n’y ayant
rien de si inconcevable que de dire que la matière
se connaît soi-même. Il ne nous est pas possible
de connaître comment elle se connaîtrait. Et
ainsi si nous sommes simples matériels nous
ne pouvons rien du tout connaître, et si nous sommes
composés d’esprit et de matière nous
ne pouvons connaître parfaitement les choses simples
spirituelles ou corporelles. De là vient que presque
tous les philosophes confondent les idées des choses
et parlent des choses corporelles spirituellement et des
spirituelles corporellement, car ils disent hardiment que
les corps tend(ent) en bas, qu’ils aspirent à
leur centre, qu’ils fuient leur destruction, qu’ils
craignent le vide, qu’ils (ont) des inclinations, des
sympathies, des antipathies, toutes choses qui n’appartiennent
qu’aux esprits. Et en parlant des esprits ils les considèrent
comme en un lieu, et leur attribuent le mouvement d’une
place à une autre, qui sont choses qui n’appartiennent
qu’aux corps. Au lieu de recevoir les idées
de ces choses pures, nous les teignons de nos qualités
et empreignons notre être composé (de) toutes
les choses simples que nous contemplons. Qui ne croirait
à nous voir composer toutes choses d’esprit
et de corps que ce mélange là nous serait
bien compréhensible. C’est néanmoins
la chose qu’on comprend le moins ; l’homme
est à lui-même le plus prodigieux objet de
la nature, car il ne peut concevoir ce que c’est que
corps et encore moins ce que c’est qu’esprit,
et moins qu’aucune chose comment un corps peut être
uni avec un esprit. C’est là le comble de ses
difficultés et cependant c’est son propre être.
Enfin pour consommer la preuve de notre faiblesse je finirai
par ces deux considérations...
200.
l’homme n’est qu’un roseau, le plus faible
de la nature, mais c’est un roseau pensant. Il ne faut
pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser ;
une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer. Mais
quand l’univers l’écraserait, l’homme
serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il
sait qu’il meurt et l’avantage que l’univers
a sur lui. L’univers n’en sait rien. Toute notre
dignité consiste donc en la pensée. C’est
de là qu’il nous faut relever et non de l’espace
et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons
donc à bien penser : voilà le principe
de la morale.
201.
le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie.
202.
Consolez-vous ; ce n’est point de vous que
vous devez l’attendre, mais au contraire en n’attendant
rien de vous que vous devez l’attendre.
XVI.
FAUSSETE DES AUTRES RELIGIONS
203.
Fausseté des autres religions. Mahomet sans autorité.
Il faudrait donc que ses raisons fussent bien puissantes,
n’ayant que leur propre force. Que dit-il donc ?
Qu’il faut le croire.
204.
fausseté des autres religions. Ils n’ont
point de témoins. Ceux-ci en ont. Dieu défie
les autres religions de produire de telles marques. Etc.
205.
s’il y a un seul principe de tout, une seule fin
de tout, -tout par lui, tout pour lui, -il faut donc que
la vraie religion nous enseigne à n’adorer que
lui et à n’aimer que lui. Mais comme nous nous
trouvons dans l’impuissance d’adorer ce que nous
ne connaissons pas et d’aimer autre chose que nous
il faut que la religion qui instruit de ces devoirs nous
instruise aussi de ces impuissances et qu’elle nous
apprenne aussi les remèdes. Elle nous apprend que
par un homme tout a été perdu et la liaison
rompue entre Dieu et nous, et que par un homme la liaison
est réparée. Nous naissons si contraires à
cet amour de Dieu et il est si nécessaire qu’il
faut que nous naissions coupables, ou Dieu serait injuste.
207.
contre Mahomet. L’alcoran n’est pas plus de
Mahomet que l’Evangile de Saint Mathieu. Car il est
cité de plusieurs auteurs de siècle en siècle.
Les ennemis même, Celse et Porphyre, ne l’ont
jamais désavoué. L’alcoran dit que Saint
Mathieu était homme de bien, donc il était
faux prophète ou en appelant gens de bien des méchants,
ou en ne demeurant pas d’accord de ce qu’ils ont
dit de J. -C.
208
sans ces divines connaissances qu’ont pu faire
les hommes sinon ou s’élever dans le sentiment
intérieur qui leur reste de leur grandeur passée,
ou s’abattre dans la vue de leur faiblesse présente.
Car ne voyant pas la vérité entière
ils n’ont pu arriver à une parfaite vertu, les
uns considérant la nature comme incorrompue, les
autres comme irréparable, ils n’ont pu fuir
ou l’orgueil ou la paresse qui sont les deux sources
de tous les vices, puisqu’il ne peut sinon ou s’y
abandonner par lâcheté, ou en sortir par l’orgueil.
Car s’ils connaissaient l’excellence de l’homme,
ils en ignorent la corruption de sorte qu’ils évitaient
bien la paresse, mais ils se perdaient dans la superbe et
s’ils reconnaissent l’infirmité de la nature
ils en ignorent la dignité de sorte qu’ils pouvaient
bien éviter la vanité mais c’était
en se précipitant dans le désespoir. De là
viennent les diverses sectes des stoïques et des épicuriens,
des dogmatistes et des académiciens, etc. La seule
religion chrétienne a pu guérir ces deux vices,
non pas en chassant l’un par l’autre par la sagesse
de la terre, mais en chassant l’un et l’autre
par la simplicité de l’Evangile. Car elle apprend
aux justes qu’elle élève jusqu’à
la participation de la divinité même qu’en
ce sublime état ils portent encore la source de toute
la corruption qui les rend durant toute la vie sujets à
l’erreur, à la misère, à la mort,
au péché, et elle crie aux plus impies qu’ils
sont capables de la grâce de leur rédempteur.
Ainsi donnant à trembler à ceux qu’elle
justifie et consolant ceux qu’elle condamne elle tempère
avec tant de justesse la crainte avec l’espérance
par cette double capacité qui est commune à
tous et de la grâce et du péché. c’est
donc elle seule qui donne les vérités et les
vertus pures ; qu’elle abaisse infiniment
plus que la seule raison ne peut faire mais sans désespérer
et qu’elle élève infiniment plus que
l’orgueil de la nature, mais sans enfler, et que faisant
bien voir par là qu’étant seule exempte
d’erreur et de vice il n’appartient qu’à
elle et d’instruire et de corriger les hommes. Qui
peut donc refuser à ces célestes lumières
de les croire et de les adorer. Car n’est-il pas plus
clair que le jour que nous sentons en nous-mêmes des
caractères ineffaçables d’excellence
et n’est-il pas aussi véritable que nous éprouvons
à toute heure les effets de notre déplorable
condition. Que nous crie donc ce chaos et cette confusion
monstrueuse sinon la vérité de ces deux états
avec une voix si puissante qu’il est impossible de
résister ?
209.
différence entre J.-C. et Mahomet. Mahomet non
prédit, J.-C. prédit. Mahomet en tuant, J.-C.
en faisant tuer les siens. Mahomet en défendant de
lire, les apôtres en ordonnant de lire. Enfin cela
est si contraire que si Mahomet a pris la voie de réussir
humainement, J.-C. a pris celle de périr humainement
et qu’au lieu de conclure que puisque Mahomet a réussi,
J.-C. a bien pu réussir, il faut dire que puisque
Mahomet a réussi, J.-C. devait périr.
210.
tous les hommes se haïssent naturellement l’un
l’autre. On s’est servi comme on a pu de la concupiscence
pour la faire servir au bien public. Mais ce n’est
que feindre et une fausse image de la charité, car
au fond ce n’est que haine.
211.
on a fondé et tiré de la concupiscence
des règles admirables de police, de morale, et de
justice. Mais dans le fond, ce vilain fond de l’homme,
ce figmentum malum n’est que couvert. Il n’est
pas ôté.
212.
J.-C. est un Dieu dont on s’approche sans orgueil
et sous lequel on s’abaisse sans désespoir.
214.
la vraie religion doit avoir pour marque d’obliger
à aimer son Dieu. Cela est bien juste et cependant
aucune ne l’a ordonné, la nôtre l’a
fait. Elle doit encore avoir connu la concupiscence et l’impuissance,
la nôtre l’a fait. Elle doit y avoir apporté
des remèdes, l’un est la prière. Nulle
religion n’a demandé à Dieu de l’aimer
et de le suivre.
215.
après avoir entendu toute la nature de l’homme
il faut pour faire qu’une religion soit vraie qu’elle
ait connu notre nature. Elle doit avoir connu la grandeur
et la petitesse et la raison de l’une et de l’autre.
Qui l’a connue que la chrétienne ?
216.
la vraie religion enseigne nos devoirs, nos impuissances,
orgueil et concupiscence, et les remèdes, humilité,
mortification.
217.
il y a des figures claires et démonstratives,
mais il y en a d’autres qui semblent un peu tirées
par les cheveux, et qui ne prouvent qu’à ceux
qui sont persuadés d’ailleurs. Celles-là
sont semblables aux apocalyptiques. Mais la différence
qu’il y a c’est qu’ils n’en ont point
d’indubitables tellement qu’il n’y a rien
de si injuste que quand ils montrent que les leurs sont
aussi bien fondées que quelques-unes des nôtres.
Car ils n’en ont pas de démonstratives comme
quelques-unes des nôtres. La partie n’est donc
pas égale. Il ne faut pas égaler et confondre
ces choses parce qu’elles semblent être semblables
par un bout, étant si différentes par l’autre.
Ce sont les clartés qui méritent, quand elles
sont divines, qu’on révère les obscurités.
218.
ce n’est pas par ce qu’il y a d’obscur
dans Mahomet et qu’on peut faire passer pour un sens
mystérieux que je veux qu’on en juge, mais par
ce qu’il y a de clair, par son paradis et par le reste.
C’est en cela qu’il est ridicule. Et c’est
pourquoi il n’est pas juste de prendre ses obscurités
pour des mystères, vu que ses clartés sont
ridicules. Il n’en est pas de même de l’Ecriture.
Je veux qu’il y ait des obscurités qui soient
aussi bizarres que celles de Mahomet, mais il y a des clartés
admirables et des prophéties manifestes et accomplies.
La partie n’est donc pas égale. Il ne faut pas
confondre et égaler les choses qui ne se ressemblent
que par l’obscurité et non pas par la clarté
qui mérite qu’on révère les obscurités.
219.
Les autres religions, comme les païennes, sont
plus populaires, car elles sont en extérieur, mais
elles ne sont pas pour les gens habiles. Une religion purement
intellectuelle serait plus proportionnée aux habiles,
mais elle ne servirait pas au peuple. La seule religion
chrétienne est proportionnée à tous,
étant mêlée d’extérieur
et d’intérieur. Elle élève le
peuple à l’intérieur, et abaisse les
superbes à l’extérieur, et n’est
pas parfaite sans les deux, car il faut que le peuple entende
l’esprit de la lettre et que les habiles soumettent
leur esprit à la lettre.
220
nulle autre religion n’a proposé de se haïr,
nulle autre religion ne peut donc plaire à ceux qui
se haïssent et qui cherchent un être véritablement
aimable. Et ceux-là s’ils n’avaient jamais
ouï parler de la religion d’un Dieu humilié
l’embrasseraient incontinent.
XVII.
RENDRE LA RELIGION AIMABLE
221.
J.-C. pour tous. Moïse pour un peuple. Les juifs
bénis en Abraham. Je bénirai ceux qui te béniront,
mais toutes nations bénies en sa semence. (...),
disait David, en parlant de la loi. Mais en parlant de J.-C.
il faut dire : (...) Isaïe. Aussi c’est à
J.-C. d’être universel ; l’Eglise même
n’offre le sacrifice que pour les fidèles. J.-C.
a offert celui de la croix pour tous.
222.
les juifs charnels et les païens ont des misères
et les chrétiens aussi. Il n’y a point de rédempteur
pour les païens, car ils (n’) en espèrent
pas seulement. Il n’y a point de rédempteur
pour les juifs : ils l’espèrent en vain.
Il n’y a de rédempteur que pour les chrétiens.
Voyez perpétuité.
XVIII.
FONDEMENTS
223.
Il faut mettre au chap. Des fondements ce qui
est en celui des figuratifs touchant la cause des
figures. Pourquoi J.-C. prophétisé en son
premier avènement ? Pourquoi prophétisé
obscurément en la manière.
224.
incrédules les plus crédules, ils croient
les miracles de Vespasien pour ne pas croire ceux de Moïse.
225.
comme J.-C. est demeuré inconnu parmi les hommes ;
ainsi la vérité demeure parmi les opinions
communes sans différence à l’extérieur.
Ainsi l’eucharistie parmi le pain commun.
226.
toute la foi consiste en J.-C. et en Adam et toute la
morale en la concupiscence et en la grâce.
227.
qu’ont-ils à dire contre la résurrection,
et contre l’enfantement d’une vierge. Qu’est-il
plus difficile de produire un homme ou un animal, que de
le reproduire. Et s’ils n’avaient jamais vu une
espèce d’animaux pourraient-ils deviner s’ils
se produisent sans la compagnie les uns des autres ?
228.
que disent les prophètes de J.-C. ? Qu’il
sera évidemment Dieu ? Non mais qu’il est
un Dieu véritablement caché, qu’il sera
méconnu, qu’on ne pensera point que ce soit
lui, qu’il sera une pierre d’achoppement, à
laquelle plusieurs heurteront etc. Qu’on ne nous reproche
donc plus le manque de clarté puisque nous en faisons
profession. Mais, dit-on, il y a des obscurités et
sans cela on ne serait pas aheurté à J.-C.
Et c’est un des desseins formels des prophètes :
etc.
229.
ce que les hommes par leurs plus grandes lumières
avaient pu connaître, cette religion l’enseignait
à ses enfants.
230.
tout ce qui est incompréhensible ne laisse pas
d’être.
232.
on n’entend rien aux ouvrages de Dieu si on ne
prend pour principe qu’il a voulu aveugler les uns
et éclaircir les autres.
233.
J.-C. ne dit pas qu’il n’est pas de Nazareth
pour laisser les méchants dans l’aveuglement,
ni qu’il n’est pas fils de Joseph.
234.
Dieu veut plus disposer la volonté que l’esprit,
la clarté parfaite servirait à l’esprit
et nuirait à la volonté. Abaisser la superbe.
235.
J.-C. est venu aveugler ceux qui voient clair et donner
la vue aux aveugles, guérir les malades, et laisser
mourir les sains appeler à pénitence et justifier
les pêcheurs, et laisser les justes dans leurs péchés,
remplir les indigents et laisser les riches vides.
236.
aveugler. Eclaircir. Saint Aug. Montag. Sebonde.
Il y a assez de clarté pour éclairer les élus
et assez d’obscurité pour les humilier. Il y
a assez d’obscurité pour aveugler les réprouvés
et assez de clarté pour les condamner et les rendre
inexcusables. La généalogie de J.-C. dans
l’ancien testament est mêlée parmi tant
d’autres inutiles, qu’elle ne peut être
discernée. Si Moïse n’eut tenu registre
que des ancêtres de J.-C. cela eut été
trop visible ; s’il n’eût pas marqué
celle de J.-C. cela n’eût pas été
assez visible, mais après tout qui y regarde de près
voit celle de J.-C. bien discernée par Thamar, Ruth,
etc. Ceux qui ordonnaient ces sacrifices en savaient l’inutilité
et ceux qui en ont déclaré l’inutilité
n’ont pas laissé de les pratiquer. Si Dieu n’eût
permis qu’une seule religion elle eût été
trop reconnaissable. Mais qu’on y regarde de près
on discerne bien la vraie dans cette confusion. Principe :
Moïse était habile homme. Si donc il se gouvernait
par son esprit il ne devait rien mettre qui fût directement
contre l’esprit. Ainsi toutes les faiblesses très
apparentes sont des forces. Exemple. Les deux généalogies
de St Matthieu et St Luc. Qu’y a (-t-) il de plus clair
que cela n’a pas été fait de concert.
237.
si J.-C. n’était venu que pour sanctifier,
toute l’Ecriture et toutes choses y tendraient et il
serait bien aisé de convaincre les infidèles.
Si J.-C. n’était venu que pour aveugler toute
sa conduite serait confuse et nous n’aurions aucun
moyen de convaincre les infidèles, mais comme il
est venu etc., comme dit Isaïe, nous ne pouvons convaincre
les infidèles. Et ils ne peuvent nous convaincre,
mais par là même nous les convainquons, puisque
nous disons qu’il n’y a point de conviction dans
toute sa conduite de part ni d’autre.
238.
figures. Dieu voulant priver les siens des biens périssables
pour montrer que ce n’était pas par impuissance,
il a fait le peuple juif.
239.
l’homme n’est pas digne de Dieu mais il n’est
pas incapable d’en être rendu digne. Il est indigne
de Dieu de se joindre à l’homme misérable
mais il n’est pas indigne de Dieu de le tirer de sa
misère.
240.
preuve. Prophétie avec l’accomplissement.
Ce qui a précédé et ce qui a suivi
J.-C..
241.
source des contrariétés. Un Dieu humilié
et jusqu’à la mort de la croix. 2 natures
en J.-C. Deux avènements. 2 états de la
nature de l’homme. Un messie triomphant de la mort
par sa mort.
continua
>>>>>